« Comme dans une pièce sans porte, avec une lointaine fenêtre tout en haut »

Ahmad Soroush Rosta vise deux objectifs clairs : terminer ses études d'économie dans deux ans et mener une vie autonome en Suisse. Y parvenir avec une admission provisoire ou une admission définitive assortie davantage de droits lui importe peu désormais. Néanmoins, les inégalités en matière d'autorisation de séjour en Suisse sont un sujet central pour lui et pour de nombreuses personnes en quête de protection venant d'autres pays en guerre que l'Ukraine.

Des jonquilles en fleurs, un étang qui scintille sous le soleil printanier, le chant des mésanges et de jolis piaillements qui s’échappent de l'appartement mansardé d'Ahmad Soroush Rosta. « Mes deux perruches m'aident à surmonter les heures de solitude », explique le jeune homme tout sourire en ouvrant la porte du studio dans lequel il vient d’emménager. Pour une fois, il a eu de la chance. Malgré une admission provisoire avec permis F (Livret pour étrangers admis provisoirement), il a trouvé refuge dans une nouvelle commune auprès de personnes engagées. « C’est une commune urbaine, ouverte aux étrangères et aux étrangers. Je suis soulagé d'avoir pu déménager », déclare cet Afghan de 28 ans.

Derrière cette situation qui n’a rien d’idyllique se cache le processus d'intĂ©gration semĂ© d'embĂ»ches d'un homme bien formĂ©, originaire de Kaboul, la capitale afghane. Un chemin marquĂ© par les rejets, les humiliations et les doutes. « Vivre avec un permis F, c'est comme ĂŞtre dans une pièce sans porte », confie Ahmad Soroush, « loin au-dessus, tu vois une fenĂŞtre par laquelle tu pourras peut-ĂŞtre t'envoler un jour. » 

Quatre ans avec un permis N

Dans son pays, Ahmad Soroush était étudiant en économie et à 22 ans déjà directeur du département des informations politiques de la chaîne de télévision Mitra TV lancée en 2013. « À cause de nos reportages, nous étions en conflit avec les talibans et les fonctionnaires du gouvernement qui les soutenaient », raconte-t-il, « en tant que directeur responsable, j'ai été menacé à plusieurs reprises, jusqu’au jour où j’ai eu peur d'être le prochain sur la liste. » Sa mère lui aurait alors dit qu'elle préférait qu'il parte loin, dans un autre pays, et qu'il reste en vie.

Grâce au soutien financier de toute sa famille, Ahmad a pu prendre la fuite, affrontant les dangers jusqu’à son arrivée en Suisse en 2016. Rapidement attribué à un canton, il a d’abord vécu quatre longues années avec un permis N, pour les requérantes et requérants d'asile sans décision, dans un centre d'hébergement avec de nombreuses autres personnes en quête de protection. « Avec le permis N, tu as toujours l'impression de faire quelque chose de mal », décrit-il en repensant à ses sentiments d’alors. « Tu n'oses ni poser de questions aux autorités, ni faire de réclamation ». En 2019, il a finalement reçu une admission provisoire avec un livret F pour étrangers. Mais la Suisse ne lui a accordé ni l'asile ni la reconnaissance juridique d'une persécution au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. La déception fût grande. Son avocat lui a toutefois déconseillé de déposer un recours, qui l’aurait obligé à continuer de vivre sous les restrictions du permis N durant toute la procédure.

Comme un chien en laisse

« Avec le permis F, je pouvais au moins planifier ma carrière professionnelle », explique Ahmad Soroush, « mais j'avais l'impression d'être un chien en laisse. Chaque fois que j’envisageais quelque chose, je devais renoncer. Il y a beaucoup d'interdictions avec un permis F. » Il n'est par exemple pas possible d'étudier à plein temps, car les semestres nécessaires à l'étranger ne sont pas autorisés avec un permis F. Pour étudier, il faut aussi une bonne connexion Internet, mais sans le droit d’avoir sa propre carte SIM, les entreprises de téléphonie ne concluent guère de contrat. Et les bourses ne sont accordées que pour des études à plein temps. Aujourd'hui, Ahmad étudie l'économie à temps partiel à la Haute école spécialisée du nord-ouest de la Suisse à Olten et travaille à temps partiel comme livreur. « Avec le permis F, tout dure plus longtemps et tout devient finalement plus cher, aussi bien pour moi que pour la Suisse, la commune ou la fondation qui soutient les personnes réfugiées. Est-ce logique ? Est-ce rentable ? » Autant de questions rhétoriques que pose le futur économiste, avant d’ajouter tristement : « Je travaille et j'étudie comme mes collègues suisses, mais il y a tant de choses que je n’ai pas le droit de faire. J'entends parler de leurs voyages, de leurs semestres d’étude dans des États européens. En cela, la situation ressemble à celle que je vivais en Afghanistan : je ne vois l’Europe qu'à la télévision. Mais je suis jeune et curieux, et je veux élargir mon horizon, comme les autres. »

En Suisse, plus de 37 000 personnes réfugiées de pays en guerre comme l'Afghanistan, la Syrie, l'Irak et l'Érythrée doivent vivre avec ces restrictions, après avoir fui au péril de leur vie et souvent plusieurs années durant. Elles souhaitent être traitées sur un pied d'égalité avec les personnes réfugiées d’Ukraine au bénéfice du statut S, notamment en matière de regroupement familial et de liberté de voyager. « Oui, c'est une bonne idée », estime Ahmad Soroush, « si nous pouvions voyager et faire venir plus rapidement notre conjointe ou notre conjoint et nos enfants en Suisse, nous pourrions mieux nous intégrer, à l’abris de la dépression et du découragement. Nous pourrions apporter plus rapidement notre contribution à l'économie nationale. »

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