Née en Suisse, sans le droit d’en sortir

L.B.* est née en Suisse avec le statut d’étranger admis provisoirement, autrement dit le « permis F ». Ce statut, qu’elle détient aujourd’hui encore à 25 ans, lui procure le droit de séjourner en Suisse, mais restreint ses droits les plus fondamentaux.

Son cas ne fait pas exception : parmi les 37'000 personnes vivant en Suisse avec le statut d’étranger admis provisoirement, 5191 d’entre elles l’ont obtenu Ă  la naissance, selon les statistiques 2021 fournis par le SecrĂ©tariat d’État aux migrations (SEM). Si elles sont nĂ©es avec, c’est que le statut leur transmis par les parents : « Ma sĹ“ur, mes frères et moi-mĂŞme avons hĂ©ritĂ© du permis F de mon père, qui l’a obtenu après avoir fui la Turquie dans les annĂ©es 90. Ce statut nous donne des droits limitĂ©s, les mĂŞmes que celles et ceux qui dĂ©posent une demande d’asile et reçoivent le permis F », raconte la jeune femme.

Une liberté de circuler restreinte

La libertĂ© de circuler fait entre autres partie de ces droits restreints. A 25 ans, L.B. n’est jamais sortie de Suisse. Elle n’a jamais pu goĂ»ter au plaisir d’évasion ou prendre part aux excursions scolaires. « Je n’osais pas dire Ă  mes camarades de classe que j’avais le permis F. J’étais gĂŞnĂ©e de ne pas avoir les mĂŞmes droits qu’eux », confie-t-elle. Quant Ă  demander un titre de voyage au SEM (uniquement accordĂ© pour des cas exceptionnels), cela relevait du parcours du combattant : « Mes parents ne savaient pas comment procĂ©der au niveau administratif, notamment Ă  cause des barrières linguistiques. En tant que mineure, je ne pouvais pas remplir moi-mĂŞme ces formalitĂ©s et les signer. Je ne suis donc jamais sortie de Suisse », explique-t-elle.

Une source de tensions permanente

Le permis F a Ă©tĂ© source de nombreuses tensions au sein de sa famille. « On devait vivre avec le strict minimum, soit avec une aide sociale de 40 pour cent infĂ©rieure Ă  celle des Suisses. Cela se rĂ©percute Ă©videmment sur la santĂ© mentale et les relations familiales. Depuis petite, je me sens oppressĂ©e par le permis F Â», confie-t-elle. Ayant grandi dans un environnement difficile et anxiogène, L.B. a dĂ©crochĂ© de l’école obligatoire avant mĂŞme de terminer sa dernière annĂ©e. Quelques annĂ©es après le divorce de ses parents, l’Établissement Vaudois d’accueil des Migrants (EVAM) lui a attribuĂ© une chambre avec une autre personne dans un centre d’hĂ©bergement Ă  Bussigny, puis l’a transfĂ©rĂ©e dans un petit studio Ă  Oron-la-Ville.

Une intégration professionnelle freinée

Pour cette jeune femme, dĂ©terminĂ©e Ă  devenir indĂ©pendante, le permis F constitue Ă©galement un frein Ă  l’intĂ©gration professionnelle. « Trouver un travail sans diplĂ´me et sans avoir suivi de formation, c’est compliquĂ©. Le permis F vient aggraver ces difficultĂ©s, car les employeurs doivent remplir des procĂ©dures administratives complexes s’ils souhaitent m’embaucher. Certains pensent mĂŞme que mon sĂ©jour en Suisse est de courte durĂ©e, alors ne prĂ©fèrent pas s’engager avec quelqu’un qui risque de partir. Â» La dĂ©nomination « provisoire Â» sur son livret F suggère en effet qu’elle n’est lĂ  que de façon temporaire, ce qui est trompeur. En rĂ©alitĂ©, la majoritĂ© des personnes titulaires de l’admission provisoire restent durablement en Suisse, la plupart Ă©tant originaires de pays oĂą sĂ©vissent des conflits depuis des annĂ©es, comme la Syrie ou l’Afghanistan. Elles ne peuvent donc ĂŞtre renvoyĂ©es dans leur pays tant que la situation sĂ©curitaire n’y est pas garantie. Pour L.B., la Suisse est le seul pays qu’elle connaisse et auquel elle s’identifie. Elle n’a pas de passeport turc, ni d’attache particulière au pays d’origine de ses parents. Son avenir est ici, comme pour les 5000 autres jeunes et adultes nĂ©-e-s avec le permis F.

Actuellement, L.B. participe au programme d’intĂ©gration Voix d’Exils de l’EVAM en tant que rĂ©dactrice. Elle a rĂ©cemment publiĂ© un article sur les droits restreints de son statut et y soulève une question primordiale : « Comment un dĂ©tenteur d’un permis F nĂ© en Suisse peut-il s’adapter pleinement Ă  son pays de naissance, si on lui accorde moins de droits et d’opportunitĂ©s que la moyenne ? Â».

L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) s’engage pour que les mêmes droits s’appliquent à l’ensemble des personnes réfugiées.

*L.B. souhaite rester anonyme.

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