Interview: Barbara Graf Mousa, rédactrice à l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR)
Renate et Christoph Schmocker, vous avez hébergés une mère ukrainienne et ses deux filles dans votre maison durant plusieurs mois. Comment avez-vous vécu cette période ?
Renate Schmocker : « Les trois premiers mois ont été intensifs, mais très enrichissants. Il y avait un certain nombre de formalités administratives à régler, beaucoup de choses à expliquer et à montrer et des clarifications à apporter, y compris pour nous-mêmes en tant que famille d’accueil. Nous avons planifié la plupart des premières démarches administratives ensemble. Ce n’était pas évident à cause de la langue : au début, nous communiquions par croquis, par gestes et avec des applications de traduction. Les aspects les plus importants ont rapidement été réglés, par exemple le financement, la mobilité, l’assurance-maladie ou l’ouverture d’un compte en banque. Une fois les formations des deux filles et le lieu de travail de la mère organisés, une période d’intense activité a démarré pour tout le monde, chacune et chacun à son propre rythme. Au bout de cinq mois, Oksana, Anna et Yuliia évoluaient dans leur nouvel environnement de façon plus ou moins autonome, indépendamment de nous. »
En tant que famille d’accueil, quel rôle avez-vous assumé au début de la cohabitation ?
Christoph Schmocker : « Nous avons utilisé nos connaissances de citoyenne et citoyen suisses et notre réseau de relations pour les encadrer ou les représenter. Nous répondions par exemple aux appels téléphoniques ou aux demandes, des choses difficiles à faire quand on ne connaît pas suffisamment le système et la langue. Nous avons montré à nos hôtes comment trouver les meilleures solutions dans les boutiques de seconde main, pour un placement professionnel ou au gymnase. Elles sont toutes les trois très humbles et toujours disposées à apprendre de nouvelles choses. Nous n’avons donc jamais fait face à de grandes exigences. En fait, il n’y a jamais eu de conflit entre nous. »
Renate Schmocker : « Nous avons sondé leurs besoins et les avons encouragées à nous dire ce qu’il leur fallait et quand, sans toutefois jamais rien leur imposer : nous les avons simplement conseillées sur la manière de procéder et leur avons offert notre soutien. Je pense que cette approche leur a aussi permis d’accepter l’aide et de développer des plans concrets qu’elles ont pu réaliser. Oksana a par exemple rapidement osé dire qu’elle s’ennuyait et qu’elle voulait à tout prix trouver un travail, quel qu’il soit, sauf comme aide ménagère. »
La cohabitation a bien fonctionné. Comment l’expliquez-vous ?
Renate Schmocker : « Je crois que le facteur principal, c’est qu’elles peuvent toutes les trois vivre dans leur propre logement. Il est important d’avoir un logement séparé, avec salle de bains et cuisine individuelles, pour que tout le monde ait suffisamment d’espace pour suivre son propre rythme de vie. Nos deux appartements offrent les conditions idéales pour cela. Deuxièmement, nous avons encouragé nos hôtes à chacun de leurs pas vers une vie indépendante en respectant leurs propres pistes de solutions, même quand elles nous paraissaient peu pratiques. Enfin, tout est aussi une question de personnalité. L’ensemble des personnes impliquées doit faire preuve d’ouverture, de flexibilité et être prêt à s’engager sur un terrain inconnu. Sur ce point, nous avons tout simplement eu de la chance de tomber sur Oksana, Anna et Yuliia ! »
On ne peut pas choisir la personnalité des hôtes...
Christoph Schmocker : « Effectivement. Nos trois hôtes nous ont facilité la tâche. Elles disaient : nous sommes des hôtes et nous allons donc nous comporter comme des hôtes, avec considération et bonnes manières. En même temps, elles ont saisi leurs chances, ont exploré toute la Suisse au cours des premières semaines grâce à l’AG gratuit, ont visité des musées et rencontré d’autres personnes réfugiées d’Ukraine, ont elles-mêmes cherché des cours d’allemand et ont réussi à bien s’organiser en gérant leurs achats habilement avec leur modeste budget. »
Durant la cohabitation, vous travailliez l’un comme l’autre et aviez en plus votre vie privée. Comment avez-vous géré votre disponibilité ?
Christoph Schmocker : « Nous avons structuré la relation d’entrée de jeu : nous mangions ensemble tous les mercredis soir, chez elles et chez nous à tour de rôle. Cela a tout naturellement donné à nos trois hôtes la possibilité régulière de discuter de leurs questions et de leurs besoins avec nous, ce qui a porté ses fruits. Après six mois, cette structure est devenue superflue et s’est dissoute tout aussi naturellement. Nous avons alors commencé à nous voir spontanément ou en cas de besoin pour discuter de choses et d’autres. »
Qu’est-ce qui crée la proximité et la confiance ?
Renate Schmocker : « Les hobbys ouvrent beaucoup de portes. Yuliia joue du violon et nous avons donc cherché une professeure de violon et un orchestre, où elle se plaît beaucoup. Anna étudie le japonais et nous avons donc cherché à la mettre en contact avec un groupe de langue japonaise de l’ambassade du Japon, où elle se rend toujours un mercredi sur deux. »
Christoph Schmocker : « Je crois aussi que cette forme de soutien favorise la confiance. Après tout, en tant qu’hôte, vous arrivez chez des personnes que vous ne connaissez ni d’Eve ni d’Adam sans aucune préparation. Au début, vous devez nécessairement vous fier aux conseils et au réseau de la famille d’accueil. »
Y a-t-il eu un moment auquel vous vous êtes dit : ça y est, la confiance s’est installée ?
Renate Schmocker : « Peut-être était-ce la symbolique derrière les cadeaux du réveillon de Noël ? Elles nous ont offert de magnifiques costumes traditionnels ukrainiens brodés, un pour homme et un pour femme, qui semblaient faits sur mesure. J’en ai eu la chair de poule ! C’était un moment très touchant pour nous, qui nous a donné l’impression qu’elles nous considéraient désormais comme des membres de leur famille. »
Les offres de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) pour les familles d’accueil vous ont-elles été utiles ?
Renate Schmocker : « J’ai trouvé le rythme et les contenus des échanges avec les familles d’accueil très réussis. Ce n’était ni trop ni trop peu. Les entretiens de conseil n’existaient pas encore à l’époque, mais nous recevions régulièrement des courriels avec des offres pour nous et des alertes sur la publication de nouvelles informations en ukrainien sur le site web, que nous avons pu transférer à nos hôtes. Pour nous en tant que famille d’accueil, l’OSAR était une sécurité et nous donnait l’agréable sensation que nous assumions ensemble l’importante responsabilité du bien-être et des besoins de nos hôtes. »
D’après vous, est-il important que les familles d’accueil soient impliquées dans une organisation ?
Renate Schmocker : « Nous trouvons essentiel qu’il y ait un point de contact professionnel et qu’une organisation bien établie telle que l’OSAR se trouve derrière le projet Familles d’accueil. Une bonne initiation et les entretiens de conseil individuels offerts sensibilisent à ce qui vous attend et à ce à quoi vous vous engagez. Sans orientation professionnelle, les rapports entre famille d’accueil et hôtes sont moins stables et le risque de conflits est plus important. Nous savons aujourd’hui que beaucoup de gens ayant accueilli des personnes réfugiées d’Ukraine de leur propre initiative ont rapidement été dépassés. »
L’OSAR n’a toutefois pas pu organiser d’entretiens de conseil personnels au début.
Renate Schmocker : « Non, mais avec le formulaire de demande pour les familles d’accueil, l’OSAR permettait de mieux prendre conscience de ce rôle. Je l’ai rempli le 5 mars et me suis rendu compte après coup à quel point cela m’avait aidée. C’était comme un échauffement de l’engagement qu’on doit prendre en tant que famille d’accueil. Les questions détaillées poussaient à réfléchir une nouvelle fois au sens profond d’accueillir chez soi des personnes inconnues. Ce sont des choses auxquelles on ne pense souvent pas du tout pendant la phase initiale, tant on est pris par la solidarité et la compassion. »
Vous avez travaillé et vécu souvent dans un environnement international. Cela vous aide-t-il pour la cohabitation ?
Christoph Schmocker : « Nous avons vécu au Cap pendant six ans avec nos deux filles. Nous y avons été accueilli-e-s comme des hôtes, beaucoup de gens se sont occupés de nous. Nous avons beaucoup appris en tant que Suisses là -bas et nous voulons donner à notre tour maintenant. L’inconnu ne nous fait pas peur. Je me souviens d’un collaborateur de Terre des hommes d’Afrique de l’Ouest, qui vivait en Suisse depuis trois ans. Alors qu’il était très souvent invité par des étranger-ère-s, il n’avait encore jamais été invité à manger chez des Suisses... Je l’ai su dès ce moment-là : nous voulons être des Suisses qui ouvrent leur porte aux autres, en particulier quand ces autres ont dû fuir la guerre ! »
Depuis avril 2023, Oksana vit avec ses deux filles Anna et Yuliia dans un appartement en location dans le même quartier. que la famille Schmocker. C'est ce qu'ils ont tous souhaité afin de rester en contact. Le déménagement a eu lieu parce que Renate et Christoph prévoient un séjour prolongé à l'étranger.