« Nous voulons seulement vivre en paix, comme tout le monde »

A.B.* a 21 ans et aura bientôt terminé sa formation d’électricien de montage. Il a passé son enfance au Somaliland et dans un camp de personnes réfugiées en Éthiopie. À la mort de sa grand-mère, il a pris seul la route vers l’Europe. Il avait 14 ans.

Par Barbara Graf Mousa, rédactrice à l’OSAR

« Il y a beaucoup de gens qui croient que les personnes rĂ©fugiĂ©es sont problĂ©matiques et qui les Ă©vitent parce qu’ils n’ont pas envie d’avoir d’autres problèmes en plus des leurs Â», glisse le jeune homme d’un air pensif. « C’est vraiment dommage, parce que nous sommes aussi drĂ´les et faciles Ă  vivre. Tout ce que nous voulons, c’est vivre en paix, comme tout le monde. Â» A.B. est installĂ© dans son cafĂ© prĂ©fĂ©rĂ©, au cĹ“ur du quartier urbain branchĂ© et bouillonnant oĂą il vit depuis deux ans. EntourĂ© de personnes de toutes les gĂ©nĂ©rations, il prend plaisir Ă  suivre les allĂ©es et venues dans le cafĂ© et contemple la rue : « C’est chez moi ici. J’aime beaucoup cette rue et cette atmosphère. C’est un endroit auquel je me sens appartenir, je fais partie de cette clientèle mixte. Â» Aucun doute : le jeune homme qui avait dĂ©posĂ© sa demande d’asile Ă  Chiasso Ă  l’étĂ© 2017 en tant que mineur isolĂ© a entamĂ© un nouveau chapitre de sa vie.

La violence et la faim sur la route

A.B. Ă©tait encore très jeune quand il est parti vivre en Éthiopie, d’abord dans un grand camp de personnes rĂ©fugiĂ©es gĂ©rĂ© par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les rĂ©fugiĂ©s (HCR), non loin de la capitale Addis Abeba, puis dans un quartier de personnes rĂ©fugiĂ©es en ville. Comme des milliers d’autres personnes enregistrĂ©es par le HCR, lui et sa grand-mère attendaient une place de rĂ©installation, rĂŞvant d’une nouvelle vie au Canada, aux États-Unis ou dans un pays d’Europe. Mais sa grand-mère est dĂ©cĂ©dĂ©e et en juin 2016, n’ayant toujours reçu aucune nouvelle au sujet de sa demande de rĂ©installation, il a pris sa dĂ©cision : « La procĂ©dure n’avancera plus, je dois essayer tout seul. Â» C’est ainsi qu’à 14 ans, il est parti pour Khartoum, la capitale soudanaise, avant de traverser le dĂ©sert jusqu’en Libye avec un passeur. Sept mois plus tard, il a rĂ©ussi la traversĂ©e de la MĂ©diterranĂ©e en barque jusqu’en Italie, oĂą il a Ă©tĂ© hĂ©bergĂ© avec une quarantaine d’autres personnes rĂ©fugiĂ©es mineures dans un camp de Reggio de Calabre. Les souvenirs de son exil lui sont pĂ©nibles ; le jeune homme discret n’aime pas se plaindre. Ce qui est rĂ©sumĂ© ici en trois phrases cache toutefois la rĂ©alitĂ© brutale d’une dangereuse route migratoire pavĂ©e de violences, d’humiliations et de privations. « Pour les passeurs, tu n’es mĂŞme pas un animal, juste un objet qui leur rapporte beaucoup d’argent. La Libye est une prison abominable pour toutes les personnes rĂ©fugiĂ©es. Tu dois tenir bon, d’une façon ou d’une autre. En Italie, nous avons Ă©tĂ© insulté·e·s et chassé·e·s partout oĂą nous allions, sans presque rien recevoir Ă  manger. Â» VoilĂ  tout ce qu’en dira l’aspirant Ă©lectricien.

Protection et prévoyance depuis l’arrivée

L’Organisation suisse d’aide aux rĂ©fugiĂ©s (OSAR) s’engage pour que les besoins spĂ©cifiques des enfants et des jeunes soient aussi pris en compte dans le domaine de l’asile et pour qu’on leur permette de se dĂ©velopper dans des conditions saines et aussi adaptĂ©es que possible Ă  leur âge. Celles-ci incluent des formes d’hĂ©bergement adaptĂ©es aux enfants, par exemple en famille d’accueil, ainsi qu’un personnel d’encadrement qualifiĂ© et en nombre suffisant. L’histoire d’A.B. après son arrivĂ©e en Suisse montre tous les bienfaits de cet accueil sur la suite du parcours des personnes requĂ©rantes d’asile mineures. « Je n’oublierai jamais le traitement que nous avons reçu au centre fĂ©dĂ©ral pour requĂ©rants d’asile de Chiasso. On nous a donnĂ© du savon, de nouveaux vĂŞtements, des paroles bienveillantes et un repas chaud et de qualitĂ©. Je n’ai pas arrĂŞtĂ© de manger, jusqu’à en avoir mal au ventre Â», se souvient-il. Le premier entretien avec les services suisses de l’immigration a Ă©tĂ© suivi de l’attribution cantonale avec hĂ©bergement dans des logements spĂ©cifiquement prĂ©vus pour personnes mineures et proposant des offres sportives et de loisirs. A.B. a Ă©tĂ© scolarisĂ© et a terminĂ© la neuvième annĂ©e avant d’être admis en 2019 dans une offre de formation transitoire pour le processus d’intĂ©gration professionnelle. La participation rapide Ă  la vie sociale prĂ©sente de nombreux avantages, tant pour les enfants et jeunes rĂ©fugié·e·s que pour la sociĂ©tĂ©, car elle aide Ă  surmonter les obstacles, Ă  combattre les prĂ©jugĂ©s et Ă  favoriser la diversitĂ©. C’est pour cette raison que l’OSAR appelle Ă  faire participer dès que possible les enfants et les jeunes du domaine de l’asile aux offres Ă©ducatives et de loisirs et Ă  promouvoir autant que possible leur participation Ă  la vie sociale.

La maturité grâce aux structures familiales

En 2019, alors âgĂ© de 16 ans, A.B. a Ă©tĂ© accueilli dans une famille qui avait deux fils un peu plus jeunes. Il y a vĂ©cu jusqu’à sa majoritĂ©. « C'Ă©tait une pĂ©riode gĂ©niale Â», se rappelle-t-il. Il trace un graphique avec une courbe qui s’envole presque Ă  la verticale : « VoilĂ  exactement comment mon allemand a progressĂ©. Pendant deux ans, je n’ai entendu et parlĂ© que cette langue et le dialecte bernois du matin au soir Â», ajoute-t-il en riant. « Mon père d’accueil disait toujours <iu> quand il Ă©coutait. Je le dis aussi aujourd’hui, au point que parfois, les gens croient que j’ai grandi ici. Â» A.B. s’est mis Ă  la lecture parce que sa famille aimait les livres. La famille au complet jouait au football chaque soir dans le jardin parce que c’était la passion d’A.B. Ă€ la plus grande joie de sa famille d’accueil, il a appris par cĹ“ur le panorama des montagnes suisses et s’amuse aujourd’hui Ă  Ă©pater ses collègues. Pour A.B., l’aide d’une famille ne se limite pas aux questions administratives, scolaires ou professionnelles : « On est encore très jeune Ă  16 ans et on manque encore de maturitĂ© pour beaucoup de choses. Une famille t’offre une structure et t’aide Ă  rester sur le <droit> chemin. Dans une famille, tu peux rattraper un tas de choses que tu ne connais pas ou pour lesquelles tu n’as pas la mĂŞme sensibilitĂ© parce que tu n’as pas grandi ici. Â»

Quand, d’ici une bonne annĂ©e, il aura fini son apprentissage, il aimerait exercer le mĂ©tier et peut-ĂŞtre suivre encore une formation continue. Cela lui plaĂ®t tellement qu’il passe une bonne partie de son temps libre dans la remise pour s’exercer aux diffĂ©rentes manĹ“uvres et intĂ©grer ses nouvelles connaissances. Il est très reconnaissant que son maĂ®tre d’apprentissage l’ait acceptĂ© malgrĂ© son permis F. « C’est ma seule vraie dĂ©ception, celle de n’avoir reçu qu’une admission provisoire Â», admet-il. « Je trouve que je n’ai pas mĂ©ritĂ© ça. Â»

*anonyme, nom connu de la rédaction