Le traité de paix est-il un accord de réadmission?

25 juillet 2018

Un traité de paix avec l’Éthiopie n’entraîne pas forcément une détente dans la politique intérieure et n’améliore pas non plus la situation des droits humains en Érythrée. Les exigences d’un accord de réadmission avec l’Érythrée sont aussi déplacées après la paix conclue officiellement entre l’Érythrée et l’Éthiopie. En raison du maintien du régime dictatorial et de la mauvaise situation de l’information, la mise en danger de personnes rapatriées de force n’est pas exclue et reste donc illicite.

Avec le traitĂ© de paix entre l’ÉrythrĂ©e et l’Éthiopie, le moment est venu de nĂ©gocier un accord sur la migration et de ramener dans leur patrie les ÉrythrĂ©en-ne-s vivant en Suisse, rapporte le SonntagsZeitung en citant les paroles de Toni Locher, consul honoraire Ă©rythrĂ©en. Toni Locher part du principe que le gouvernement Ă©rythrĂ©en ramènera progressivement le service national illimitĂ© Ă  18 mois et qu’une dĂ©tente de la politique intĂ©rieure ainsi qu’une reprise Ă©conomique auront lieu dans le pays. Les conditions idĂ©ales, donc, pour nĂ©gocier un accord qui porte sur les contingents de migration pour les apprenants, les aides au retour, l’aide au dĂ©veloppement, mais aussi des promesses de rĂ©admission du gouvernement Ă©rythrĂ©en. Toni Locher est soutenu notamment par les Conseillers nationaux Kurt Fluri (PRD) et Heinz Brand (UDC), qui exigent Ă©galement un accord de rĂ©admission entre la Suisse et l’ÉrythrĂ©e.

Un traité de paix ne signifie pas automatiquement la fin de la dictature érythréenne

Naturellement, un traitĂ© de paix entre les deux pays, qui ont menĂ© pendant plus de 20 ans une guerre insensĂ©e ayant fait plus de 70’000 victimes, est une Ă©tape significative. Depuis deux semaines, les frontières, longtemps fermĂ©es, sont rouvertes, les appels sur le rĂ©seau fixe de nouveau possibles, les liaisons aĂ©riennes entre Addis Abeba et Asmara ont repris. Des familles et ami-e-s sĂ©parĂ©s par la guerre et les frontières fermĂ©es peuvent dĂ©sormais se revoir sans avoir Ă  faire des dĂ©tours compliquĂ©s et coĂ»teux par la pĂ©ninsule Arabique. C’est effectivement très rĂ©jouissant. Seulement, le traitĂ© de paix et les liaisons aĂ©riennes au-delĂ  des frontières en disent assez peu sur la situation des droits humains en ÉrythrĂ©e elle-mĂŞme. En effet, les ÉrythrĂ©en-ne-s ne fuyaient et ne fuient pas leur pays en premier lieu Ă  cause de la guerre avec l’Éthiopie, mais Ă  cause du système rĂ©pressif qui les oblige Ă  un service national et des travaux forcĂ©s illimitĂ©s dans le temps et qui les punit de torture en cas de dĂ©sobĂ©issance.

L’amélioration de la situation des droits de l’homme en Érythrée reste pure spéculation

Du point de vue de l’Organisation suisse d’aide aux rĂ©fugiĂ©s (OSAR), l’euphorie rĂ©gnant dans les mĂ©dias et les milieux politiques de notre pays en ce qui concerne l’avenir de la politique intĂ©rieure de l’ÉrythrĂ©e est prĂ©maturĂ©e. L’ÉrythrĂ©e est et reste pour l’instant un État unipartite oĂą tout le pouvoir est concentrĂ© sur la personne du prĂ©sident Isayas Afewerki. Elle reste un pays oĂą aucune Ă©lection n’a plus Ă©tĂ© organisĂ©e depuis 1993 et oĂą la constitution adoptĂ©e en 1997 n’est toujours pas en vigueur aujourd’hui. Exception faite des contacts avec la Chine, l’Iran et Cuba, l’ÉrythrĂ©e est isolĂ©e du point de vue international et occupe au classement de Reporters sans frontières, juste devant la CorĂ©e du Nord, la peu glorieuse avant-dernière place du monde en ce qui concerne la libertĂ© de presse. Des organisations des droits humains comme Amnesty International n’obtiennent pas d’accès au pays, les observateurs/-trices du ComitĂ© international de la Croix-Rouge (CICR) n’ont aucun accès aux nombreuses prisons. Par ailleurs, le prĂ©sident n’a pas encore Ă  ce jour mis en application l’annonce que le service national serait ramenĂ© aux 18 mois prescrits par la loi. Tant qu’il n’existe aucune source indĂ©pendante qui pourrait dĂ©montrer de manière fiable un changement stable et permanent de la situation en ÉrythrĂ©e, une situation amĂ©liorĂ©e des droits de l’homme demeure la spĂ©culation la plus pure et les renforcements de la procĂ©dure sont illĂ©gitimes.

Les réintégrations d’Érythréens restent illicites malgré le traité de paix

Le SecrĂ©tariat d’État Ă  la Migration (SEM) et le Tribunal administratif fĂ©dĂ©ral (TAF) reconnaissent que des sources d’information essentielles sur les thèmes relevant de la pratique en matière d’asile sont supprimĂ©es en raison du manque d’informations. En toute connaissance de cause, le TAF a dĂ©cidĂ© le 10 juillet 2018 dans le jugement de principe E-5022/2017 que le renvoi est admissible et acceptable mĂŞme en cas de menace de convocation au service national et de travaux forcĂ©s. L’OSAR critique ce jugement estimĂ© nĂ©gligent, car il se base sur des suppositions au lieu de faits certains et refuse aux personnes renvoyĂ©es la protection qui leur revient toujours. MalgrĂ© le traitĂ© de paix.