Migration et exil – le théâtre comme espace de parole et de mobilisation

26 novembre 2025

L’OSAR s’est entretenue avec Salma Lagrouni, metteuse en scène et présidente de l’association Women in Action International. Son nouveau spectacle Barîn au-delà des frontières, présenté les 30 et 31 août 2025 au théâtre de La Traverse à Genève, fait monter sur scène des femmes qui racontent leur parcours migratoire. Le théâtre engagé de Salma Lagrouni devient un espace de parole pour dénoncer les violences basées sur le genre et pour faire entendre les voix des femmes.

Entretien réalisé par Athénaïs Python

Salma Lagrouni, parle-nous un peu de toi, de ton parcours. Qui es-tu ?

Je suis une personne simple. Je m’appelle Salma, je suis marocaine et je suis comédienne et metteuse en scène. J’ai travaillé sur plusieurs pièces de théâtre en tant que comédienne et metteuse en scène, au Maroc et en France. Je vis en Suisse depuis environ dix ans et ici, je travaille plutôt pour le théâtre engagé ou militant. Les thématiques des pièces sont plus engagées, avec des personnes concernées. Parlons aujourd’hui plus spécifiquement du spectacle Barîn au-delà des frontières.

Oui, parle-nous de ce spectacle que tu as co-écrit ?

L’origine de l’idĂ©e vient en rĂ©ponse au mouvement Femme, Vie, LibertĂ©, nĂ© en Iran face aux violences faites aux femmes et Ă  la mort de Mahsa Amini. D’après les images et les tĂ©moignages, cette jeune kurde a Ă©tĂ© battue, mais selon les autoritĂ©s, elle avait un problème de santĂ©. Mahsa a Ă©tĂ© interpellĂ©e parce que, soi-disant, elle ne portait pas correctement son voile. J’ai rencontrĂ© Shahla Kakai, originaire de Ravansar, au Kurdistan iranien. Elle est rĂ©fugiĂ©e politique en Suisse, Ă  Genève. Nous nous sommes rencontrĂ©es pour parler des violences domestiques dans le cadre engagĂ© de la campagne Violence Basta ! Nous avons tout de suite ressenti le besoin d’écrire ensemble un texte qui dĂ©nonce les violences faites aux femmes. Shahla devait tourner une vidĂ©o, en kurde, sur les violences domestiques. Et je devais en faire une en arabe. Après notre entrevue Ă  Genève, nous sommes restĂ©es en contact. Quand j’ai voulu faire ce projet sur les violences faites aux femmes en Iran, j’ai proposĂ© Ă  Shahla de boire un cafĂ©, pensait qu’elle connaissait peut-ĂŞtre des femmes iraniennes. Elle m’a alors confiĂ©e un peu son histoire. Et j’ai demandĂ© : « Serait-il possible que cette femme que je cherche, ce soit toi ? Â» Elle a rĂ©pondu « Je vais rĂ©flĂ©chir. Peut-ĂŞtre que oui. Je ne sais pas. Je m’y attendais pas ». Concernant la musicienne de la pièce, elle m’a Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©e par des connaissances. Nous cherchions une personne qui jouait d’un instrument de percussion assez prĂ©sent plutĂ´t au Proche orient. 

Vous avez décidé de réunir sur scène des femmes migrantes et réfugiées qui joueraient en français, sans maîtriser vraiment cette langue. C’était un des enjeux du spectacle, n’est-ce pas ?

Oui, tout à fait, parce qu’aujourd’hui, une femme migrante ou réfugiée non francophone n’a pas vraiment de place dans le paysage artistique suisse. Je trouve cela grave parce qu’il y a une richesse à transmettre, culturelle, intellectuelle, entre autres. Malheureusement, les femmes migrantes ne sont pas présentes. Il n’existe pas de pièces montées par des femmes migrantes. Il n’existe pas de pièces montées pour et surtout avec les personnes concernées, les personnes réfugiées. Je voulais donc dénoncer les violences faites aux femmes en Iran, mais aussi faire un parallèle ou ouvrir une réflexion universelle sur ce qui se passe de manière générale sur le plan des violences faites aux femmes. En Suisse aussi, il y a régulièrement des féminicides. On sait aussi qu’il y a une hiérarchie des langues. Ainsi, l’accent canadien est bien perçu, bien accueilli. Ce n’est pas pareil pour l’accent arabe ou kurde. C’est ce qu’on appelle la glottophobie. Nous voulions vraiment donner de la place à nos accents sur scène. Donc, nous avons vraiment travaillé avec les accents. Il fallait évidemment connaître le texte par cœur, savoir bien le lire, le jouer, avoir une diction fluide. Mais il fallait aussi absolument conserver les accents de toutes les comédiennes. Il y avait les accents espagnol, kurde, tunisien, marocain, français… Une diversité qui reflète aussi la société suisse d’aujourd’hui. Mais on refuse un peu de l’accepter, je dirais.

Et des femmes aussi qui, pour la plupart, n’avaient jamais fait de théâtre.

Oui, tout Ă  fait, parce que Women in Action International est une association qui dĂ©fend les droits des femmes par le biais de l’art. On monte des pièces de théâtre, des documentaires. On anime des ateliers théâtres, surtout avec les femmes, sans pour autant exclure d’autres identitĂ©s de genre. On a travaillĂ© avec un groupe de femmes, et on voulait absolument travailler aussi avec des personnes professionnelles, des personnes amateures et des personnes concernĂ©es. Chaque personne joue son rĂ´le. Cela requiert beaucoup plus d’écoute, de bienveillance, car la dimension humaine, tout aussi importante, entre en jeu. C’est très enrichissant aussi personnellement. J’ai beaucoup appris en tant que metteuse en scène. Avec Shahla, qui n’a jamais fait de théâtre, mais qui est concernĂ©e par la thĂ©matique, il a fallu travailler un peu en amont pour transmettre le vocabulaire du théâtre : que signifient un plateau, une scène, des coulisses, cĂ´tĂ© jardin, cĂ´tĂ© cours ? Il fallait aussi apprĂ©hender le texte, la posture, le mouvement sur le plateau, faire beaucoup d’improvisation, des exercices, pour permettre cette fluiditĂ©. Puis se retrouver toutes ensemble pour rĂ©pĂ©ter le texte. Concernant le texte, il y a eu deux Ă©tapes : la version Ă©crite par Shahla et moi, et la version jouĂ©e. Le texte initial comportait beaucoup de rĂ©cits, qui retraçaient toute son enfance en Iran, son parcours migratoire et l’exil. Puis son arrivĂ©e en Suisse, comment elle y a vĂ©cu durant dix ans, les dĂ©fis, les difficultĂ©s, la politique d’asile. Ensuite il a fallu mettre en scène ce texte. C’est-Ă -dire jouer des situations, ĂŞtre dans l’action. Ce sont donc deux textes diffĂ©rents. Voici un passage du premier texte :

« Lorsque nous quittions notre maison, nous pénétrions dans un monde étranger, la société, où il fallait vivre différemment, nous conformer aux désirs et aux règles imposées, respecter une certaine façon de s’habiller. Il était mal vu pour une femme de lever la voix ou de rire fort dans la rue. L’école était à l’image d’une prison, les murs étaient hauts, il n’y avait pas de jouets, rien de coloré à mon époque, tout était foncé, y compris nos habits. Et il y avait un rituel. Chaque matin, deux filles de l’école se tenaient à l’entrée, avec pour mission de vérifier nos cartables. Elles devaient nous soustraire les choses interdites, chewing-gum, du maquillage. Elles cherchaient aussi des petits mots d’amour échangés que l’on avait oubliés sur nous, des photos de garçons ou simplement des photos de personnalités célèbres. Un simple poster photo de Jennifer Lopez représentait un réel danger. Nous avions une sorte de long manteau tombant 15 cm au-dessous du genou, boutonnée de haut en bas. L’hiver, nous portions un pull épais en dessous. Jusqu’à 12 ans, les filles portaient un voile blanc recouvrant les cheveux. Mais dès 13 ans, le voile était noir et ne couvrait pas seulement les cheveux, Mais il fallait aussi qu’ils dissimulent les poitrines naissantes. Si malgré la longueur du foulard, des cheveux dépassaient, on nous demandait de les rentrer dans le manteau. Nous avions droit à un, voire deux avertissements. Au troisième, les parents étaient avertis et cela pouvait aller jusqu’au renvoi définitif de l’école. J’aimais beaucoup le basket. J’ai demandé à ma mère de m’inscrire au club du basket féminin de Ravansar. Ma mère a beaucoup hésité car elle ne pouvait pas m’accompagner à chaque fois. Ma sécurité sur le chemin n’était pas assurée. Elle m’a proposé de m’apprendre la couture, de rester jouer dans le jardin. Le sentiment de sécurité était inexistant. On pouvait être facilement harcelé ou agressé par les garçons sur le chemin. Quelles que soient les activités, mon frère s’y opposait. Toujours. »

Cet extrait retrace sa vie, son enfance, surtout en Iran. La première partie du texte questionne le pourquoi les gens quittent leur pays ? Derrière cette dĂ©cision, il y a toujours une histoire d’oppression, d’injustice, de guerre. Il y a toujours une raison. Personne ne veut recommencer Ă  zĂ©ro. 

Cette dĂ©marche est donc Ă  la fois artistique, sociale et militante ?

Oui, tout Ă  fait. Je pense que dans l’artistique, il y a toujours du politique et du social. C’est automatique. Tout est liĂ©. Le théâtre permet une confrontation douce. Souvent, on voit une confrontation dans les dĂ©bats, c’est un peu la guerre. On est lĂ  pour dĂ©fendre sa position. Alors que le théâtre permet beaucoup de choses. C’est un espace d’écoute, d’expression, de partage. Surtout, le plus important, c’est qu’il parle aux Ă©motions. Le public ne peut pas refuser d’être touchĂ©. C’est comme en amour, quand on se dit, c’est plus fort que moi, je voudrais ne pas aimer cette personne, mais je n’y arrive pas. Le théâtre, c’est ça. La scène permet de communiquer, de discuter, de stimuler, d’émotionner. Quand on parle avec les Ă©motions, il y a une rĂ©flexion, quelque chose qui se passe, et c’est lĂ  que les choses s’ouvrent. Parfois, cela gĂ©nère un changement de position ou au moins l’envie  d’en savoir plus sur un sujet. Le théâtre, c’est aussi un espace qui dĂ©veloppe beaucoup l’empathie, un format oĂą la thĂ©matique traitĂ©e arrive souvent avec tout un historique. C’est donc aussi un espace de transmission de savoirs, d’informations, d’actualitĂ©s, de ce qui se passe dans le monde. C’est vraiment un miroir de la sociĂ©tĂ©. Et puis, c’est ce que je sais faire, donc je ne pourrais pas faire autre chose.

Qu’est-ce que le théâtre apporte aux femmes rĂ©fugiĂ©es ?

Je dirais d’abord que c’est le théâtre qui est honorĂ© d’avoir des personnes aussi fortes et aussi rĂ©silientes sur scène. Ensuite, comment le théâtre peut-il aider ? il y a la notion de ce qu’on appelle la catharsis dans le théâtre. C’est-Ă -dire que je vis ce qui se passe sur scène, je vis l’émotion en scène, je m’identifie et ça me fait du bien, ça me libère. Je pense que cela se produit entre la personne qui joue et le public, mais aussi entre la personne qui joue et elle-mĂŞme. Shahla m’a dit un jour : « Ton théâtre, c’est presque comme une thĂ©rapie Â». Quand on monte sur scène, on devient comĂ©dien ou comĂ©dienne. C’est un changement de posture. On sort de ce que la sociĂ©tĂ© nous oblige Ă  vivre, on sort de la posture passive. On prend une place, avec une cause Ă  dĂ©fendre. C’est une posture active, d’émancipation, de force, de rebondissement, de rĂ©silience.

Pour toi, c’est donc vraiment un outil de prise de parole et de revendication indissociable du militantisme. As-tu observĂ© une transformation chez ces femmes qui prennent une place par le biais théâtre ?

Oui, je sens une transformation et elles partagent ce ressenti. Elles disent que cela leur a beaucoup apportĂ©. J’insiste tout de mĂŞme sur le fait que c’est surtout le théâtre qui est honorĂ©. Souvent, on pense que cette une manière d’aider des gens. Mais ces personnes nous apportent beaucoup. Dans leur pays, elles ont fait des Ă©tudes, elles sont avocates par exemple. Shahla vivait dans une maison de 400 m2. Ici, elle habite dans une chambre de deux mètres sur quatre. On pense que ces personnes n’ont rien, qu’elles ne sont personne, mais ce sont des gens !

Comment le théâtre peut-il sensibiliser la population Ă  ces questions ? Touche-t-il de nouvelles personnes ou seulement celles qui sont dĂ©jĂ  sensibilisĂ©es ?

Le public est très variĂ©. Il y a des personnes dĂ©jĂ   sensibilisĂ©es, des gens de la minoritĂ© kurde, des personnes d’Iran venues voir de quoi parle une pièce dont la voix principale est celle d’une femme kurde. Et on sait ce que les minoritĂ©s kurdes endurent un peu partout. Certaines personnes pensaient aussi retrouver un esprit folklorique de l’Orient. Il y en a eu d’autres qui avaient entendu parler des violences faites aux femmes en Iran, sensibles Ă  ces thĂ©matiques, qui voulaient mieux comprendre. C’est très enrichissant parce qu’après chaque reprĂ©sentation, on ouvre la discussion. C’est aussi cet Ă©change qui nous intĂ©resse. Nous voulions aussi entendre les rĂ©actions, les observations, les remarques, les ressentis, juste après la reprĂ©sentation. 

À quels défis ces femmes sont-elles confrontées en matière d’intégration et de participation ?

Le mot « intĂ©gration Â» me dĂ©range beaucoup. Je le perçois comme une posture oĂą l’Occident dĂ©tient la vĂ©ritĂ© absolue, sait mieux que tout le monde, et estime que ce sont aux autres de s’intĂ©grer. Qu’est-ce que ça veut dire l’intĂ©gration ? Est-ce que l’on a  cherchĂ© les causes ? Est-ce que l’on sait qu’il y a des guerres ? Qu’il y a eu la colonisation, les oppressions ? Que l’Occident contribue Ă  cela ? Il faut sortir de cette posture d’intĂ©gration, chercher les causes, se remettre en question. Et lĂ , on pourra peut-ĂŞtre trouver un autre mot qui dĂ©finira mieux cet Ă©change ou cette nĂ©cessitĂ© pour ces personnes de quitter leur pays parce qu’elles sont en danger, peut-ĂŞtre persĂ©cutĂ©es, ou sous les bombes. Shahla a fait le trajet avec son mari, Fazel. Elle ne savait pas nager. Il faut s’imaginer : chez toi, tu as une licence en littĂ©rature persane, tu as ouvert la première librairie – qui s’appelle Barin – tenue par une femme dans la rĂ©gion de Haouraman. Tu as Ă©crit dans plusieurs journaux sur la question kurde, dĂ©fendant les minoritĂ©s ethniques, etc. Tu as un certain bagage, comme on dit. Et puis tu arrives dans un autre pays et il faut « s’intĂ©grer Â». Mais il y a tous ces dĂ©fis, simplement tout recommencer, Ă  zĂ©ro. Tu as menĂ© ta vie jusqu’ici, vĂ©cu Ă©normĂ©ment de choses, mais en arrivant, presque rien n’est pris en compte ou valorisĂ©. Il faut beaucoup de temps pour trouver de nouveaux repères. Ce spectacle est aussi quelque chose de très intime. C’est une histoire vraie. En l’écrivant, au dĂ©but, Shahla me demandait : « Tu peux enlever cette partie ? Â» Et je me questionnais toujours. Il y a des choses qu’on n’oublie pas, qui sont en nous. Je suis marocaine, j’ai peut-ĂŞtre des encore des rĂ©flexes dont je ne me rends pas compte, mĂŞme si je pense m’être libĂ©rĂ©e de nombreux schĂ©mas. Il y avait quand mĂŞme toujours ces rĂ©flexions. Pendant les rĂ©pĂ©titions, parfois, nous parlions de Shahla. Une comĂ©dienne Ă©tait beaucoup dans l’émotion, pleurait, ne pouvait pas continuer de rĂ©pĂ©ter. Elle disait ĂŞtre trop touchĂ©e, ne plus y arriver. On ne se rend pas toujours compte, mais le corps enregistre beaucoup. Parfois, il faut vraiment ĂŞtre non seulement dans la conception, la mise en scène, mais aussi beaucoup dans l’écoute. De toutes petites choses peuvent peut-ĂŞtre renvoyer une personne vers un vĂ©cu, une situation difficile. C’est hypersensible. Transmettre la pratique théâtrale Ă  des personnes non professionnelles, c’est aussi gĂ©rer des situations comme celle-ci. C’est un enjeu supplĂ©mentaire, en plus du travail sur scène. Il n’y a pas de livre pour apprendre Ă  gĂ©rer des situations comme ça. C’est de l’humain. Et quoi de plus complexe que l’humain ?! Il faut donc d’être Ă  l’écoute, dans la bienveillance, toujours dans la communication. On parle beaucoup d’énergie dans le théâtre. L’énergie c’est quelque chose que l’on peut ressentir en arrivant le matin. Je pense que plus ont fait des rencontres, plus on apprend des choses sur l’humain et sur soi-mĂŞme. J’apprends beaucoup sur moi, comment je rĂ©agis face Ă  certaines situations. Parfois, je crois que je vais rĂ©agir d’une certaine manière, mais quand la situation se prĂ©sente arrive, je suis tout Ă  fait diffĂ©rente. C’est tellement intĂ©ressant.

Qu’as-tu donc appris sur toi-mĂŞme ?

Je suis beaucoup dans l’action, j’ai beaucoup d’énergie. Parfois, je peux rĂ©agir rapidement. En tant que responsable de toute une Ă©quipe, je dois donc supporter certaines choses et rester zen. Mais j’ai le droit de craquer ; on travaille sur des thĂ©matiques fortes, de profondeur, de contenu, de sens. Il y a une Ă©quipe de 12 personnes, il faut veiller Ă  ce que ça se passe bien, parce qu’on fait cela aussi par plaisir. C’est un travail bĂ©nĂ©vole. Les personnes sont lĂ  parce qu’elles en ont envie, parce qu’elles veulent travailler Ă  ce projet-lĂ , parler de ces thĂ©matiques. J’ai donc appris Ă  prendre du temps avant de rĂ©agir. Le théâtre, c’est beaucoup l’action, et parfois il faut rester en retrait. Faire attention Ă  ne pas commettre d’erreur, car le projet repose sur mes Ă©paules. Faire attention aussi de ne pas perdre l’équipe, qu’elle conserve son Ă©lan, la mĂŞme Ă©nergie. Mais sincèrement, c’est aussi elle qui me donne cette Ă©nergie. Donc pendant tout le projet, je puisais aussi dans l’énergie, l’envie, la force, la rĂ©silience de l’équipe.

Tu voulais revenir sur ce mot, Barîn ?

C’est un verbe qui signifie plus ou moins « quelque chose qui tombe du ciel Â». Shahla l’avait choisi parce qu’elle avait rĂ©ussi Ă  ouvrir cette librairie malgrĂ© beaucoup de difficultĂ©s. C’est terriblement difficile d’ouvrir une librairie tenue par une femme. Pour elle, c’était comme un cadeau du ciel, alors elle l’a appelĂ©e BarĂ®n. C’est aussi un prĂ©nom fĂ©minin qui existe dans sa rĂ©gion.

Comment peut-on s’allier par rapport Ă  ces questions ? 

Je pense que chaque personne doit se servir de ce qu’elle sait faire, car c’est peut-être le plus facile. Je sais faire du théâtre, par exemple, dont je peux agir en utilisant le théâtre. Si je sais faire de la musique, je peux composer. Je pense qu’il faut toujours partir de soi, parce que c’est là où c’est fort, en étant aussi toujours dans la mobilisation et en groupe, parce que le groupe et l’inclusion sont particulièrement importants. Si on veut vraiment faire changer les choses, il faut être en groupe, il faut être en force. Il ne faut pas baisser les bras. Ne pas faire deux ou trois manifs et puis plus rien. Il faut vraiment continuer. La vie, c’est un combat. Tout est combat.

Comment les comédiennes ont-elles vécu les retours à la suite de cette pièce ?

Très bien, parce qu’on ne s’attendait pas à jouer à guichet fermé dans des salles de 90, 100, 120 places, avec toujours 30 ou 40 personnes sur liste d’attente. Pour les comédiennes, c’était surprenant. Elles ont réalisé que c’était sérieux. Et les commentaires étaient très motivants. Elles étaient très contentes. C’est aussi pour cela qu’elle ont continué. Je dis toujours qu’il faut surtout s’amuser. Nous répétons sérieusement, mais juste avant de commencer une représentation, on dit que nous savons jouer et que maintenant on va s’amuser, même si on se trompe. S’amuser, c’est le plus important, c’est la raison première pour laquelle nous sommes là. Elles n’ont pas forcément eu la possibilité de faire du théâtre, mais certaines en ont toujours eu envie. Merchet est comédienne professionnelle, Mayumi fait du théâtre amateur. Nezra, a fait du théâtre pour la première fois, mais elle a toujours voulu sans pouvoir le faire. Shahla, est la protagoniste. Berîn, la musicienne, est aussi très engagée. Elle a composé la musique, jouée en direct. La costumière a aussi réalisé des costumes avec beaucoup de nœuds, pour symboliser ce qui est noué en nous et dont on aimerait se libérer.

Comment avez vous géré le stress ?

Il y a des exercices, Ă©videmment, de prĂ©paration du corps et de la voix avant de commencer Ă  jouer. J’ai aussi proposĂ© de faire un filage, c’est-Ă -dire une reprĂ©sentation en condition de spectacle, devant un public composĂ© seulement des familles et des connaissances proches. Elles ont jouĂ© avec les costumes, la lumière. Certaines disaient que cela les stressait davantage de jouer devant leurs proches, leurs enfants, et qu’elles avaient encore plus le trac que face Ă  un public de personnes inconnues. Concernant le stress, dans le théâtre il y a ce qu’on appelle « le ici et le maintenant Â», c’est très important. Je leur disais toujours : « On oublie ce qu’il s’est passĂ© avant d’entrer en scène. Ce que je viens de dire fait dĂ©jĂ  partie du passĂ©. On garde la concentration sur ici et maintenant seulement Â».

Avec ce groupe qui s’est créé, les liens qui se sont renforcĂ©s, as-tu envie de faire d’autres spectacles, de monter d’autres projets ? 

Au sein de l’association, nous travaillons vraiment chaque fois avec un groupe diffĂ©rent. Le but n’est pas de travailler toujours avec les mĂŞmes personnes. On monte un groupe pour chaque projet, en cherchant les personnes motivĂ©es par le projet, qui peuvent apporter des choses. C’est donc Ă  chaque fois un groupe diffĂ©rent. La première pièce de théâtre, qui a aussi beaucoup tournĂ© en Suisse romande, s’appelait Cellule numĂ©ro 1. C’était une Ă©quipe complètement diffĂ©rente. J’aime beaucoup le travail avec les personnes militantes, les associations. Nous essayons d’établir des partenariats dans les diffĂ©rentes villes, avec des groupes militants qui peuvent organiser des discussions en rassemblant davantage de monde. D’ailleurs, merci pour cette belle initiative du « Tour de Suisse de l’humanitĂ© Â» ! Je pense qu’actuellement, il faut de de plus en plus d’initiatives de ce genre, qui descendent dans les rues, se rapprochent des gens et ouvrent la discussion et la rĂ©flexion.