Menacé de renvoi même pendant l’apprentissage

26 novembre 2025

La plupart du temps, les personnes qui quittent l’Afghanistan, l’Érythrée, la Syrie, la Somalie ou le Soudan ne sont admises qu’à titre provisoire en Suisse, alors qu’elles fuient la guerre, la terreur et la violence. Sadaqat Khan, arrivé ici en 2016 à l’âge de 13 ans, a lui aussi dû vivre avec la peur d’un renvoi pendant huit ans. Une période difficile sur laquelle il revient dans cette interview.

Sadaqat, tu as rĂ©cemment obtenu un permis B. Comment te sens-tu maintenant ?

Je me sens libre ! J’ai eu le permis F pendant huit ans. Tous les jours, je pouvais ĂŞtre expulsĂ© vers l’Afghanistan. Je n’avais pas le droit de voyager. J’étais Ă  l’aide d’urgence. Je n’avais pas le droit de signer un bail d’appartement ou un contrat de tĂ©lĂ©phone. Je cherchais du travail, mais je recevais souvent des rĂ©ponses nĂ©gatives, car les entreprises pensent qu’on ne restera ici que temporairement. 

Comment vit-on avec la peur du renvoi ?

Ça dĂ©pend. Certaines personnes en souffrent beaucoup, d’autres ne comprennent pas, ou pas tout de suite, que leur demande d’asile a Ă©tĂ© rejetĂ©e et qu’elles pourraient ĂŞtre expulsĂ©es Ă  tout moment. 

Que s’est-il passĂ© quand tu as reçu ton permis F ?

J’ai obtenu le permis F fin 2016, deux mois Ă  peine après mon arrivĂ©e. En tant que mineur non accompagnĂ©, je me suis retrouvĂ© dans un foyer bien encadrĂ© de la fondation Erlenhof, dans le canton de Bâle-Campagne. J’étais surtout heureux d’être arrivĂ©. Tout Ă©tait nouveau et très sincèrement, Ă  13 ans, peu m’importait de savoir quel permis et quels droits j’avais pendant les deux premières annĂ©es. 

Le permis F a-t-il eu des inconvĂ©nients pour toi ?

C’est Ă  l’école que j’ai pris conscience, pour la première fois, des inconvĂ©nients du permis F. Des excursions Ă©taient organisĂ©es rĂ©gulièrement dans les pays voisins, en Allemagne et en France. Il me fallait une autorisation pour y participer, et les dĂ©marches Ă©taient trop laborieuses. 

Et après l’école, pendant ta recherche d’apprentissage ?

J’ai reçu une lettre du SecrĂ©tariat d’État aux migrations (SEM) quelques jours après avoir signĂ© mon contrat d’apprentissage de gestionnaire du commerce de dĂ©tail. Quand un courrier du SEM arrive, c’est toujours stressant et angoissant. Il Ă©tait Ă©crit qu’un contrat d’apprentissage n’empĂŞchait pas l’exĂ©cution du renvoi. 

Qu’as-tu ressenti en lisant ces mots ?

C’était un choc terrible. Je me suis d’abord senti très déstabilisé, j’ai cru que j’avais fait une erreur.

Une erreur ?

Dès le dĂ©part, je m’étais focalisĂ© sur les lois en Suisse, pas sur mes droits. Je voulais tout faire comme il faut, ne jamais prendre les transports sans ticket, payer mes factures dans les dĂ©lais, ne rien faire de rĂ©prĂ©hensible. J’y tenais et j’y tiens toujours beaucoup. Je me suis dit que j’avais dĂ» me tromper quelque part, jusqu’à ce que mon rĂ©fĂ©rant m’explique que le SEM envoie cet avis Ă  toutes les personnes admises Ă  titre provisoire qui entament un apprentissage. 

Quel effet cette lettre a-t-elle eu sur toi ?

J’ai pu prendre le recul nĂ©cessaire grâce Ă  mon rĂ©fĂ©rant, mais sur le coup, elle a vraiment freinĂ© ma motivation. Imaginez, recevoir ça alors que je venais enfin de dĂ©crocher un apprentissage ! Aujourd’hui, je me dis que si le SEM Ă©crivait qu’un droit de rester Ă©tait accordĂ© en cas de rĂ©ussite de l’apprentissage, ce serait motivant. Comme un objectif qui vaut la peine et qui aide Ă  surmonter les difficultĂ©s. Pourquoi n’y a-t-il pas plus d’incitations et de rĂ©compenses ? Il faudrait encourager cela. Le système actuel est un frein Ă  la motivation et crĂ©e une grande insĂ©curitĂ©.

Qu’est-ce qui t’a aidĂ© Ă  ne pas baisser les bras et Ă  persĂ©vĂ©rer ? 

Je me suis dit : je vais vous montrer que je ferai tout comme il faut, quoi qu’il arrive, et que j’irai au bout de mon apprentissage. Je suis exigeant avec moi-mĂŞme. Quand j’ai une idĂ©e en tĂŞte, je finis gĂ©nĂ©ralement par y arriver. Je suis très appliquĂ©. Mais tout le monde n’est pas comme ça. J’ai vu le dĂ©sespoir et la dĂ©ception de collègues qui ont vĂ©cu la mĂŞme situation. 

Comment ta situation a-t-elle Ă©voluĂ©, ta stratĂ©gie a-t-elle portĂ© ses fruits ?

J’ai d’abord traversĂ© deux annĂ©es difficiles qui m’ont ramenĂ© Ă  la case dĂ©part. J’ai dĂ» interrompre le premier apprentissage, puis en trouver un nouveau et recommencer de zĂ©ro. Mais j’ai validĂ© cet Ă©tĂ©, avec de bonnes notes, mon CFC de gestionnaire du commerce de dĂ©tail. 

FĂ©licitations ! VoilĂ  qui doit simplifier la recherche d’emploi, non ?

C’est certain, mais je crois que c’est aussi liĂ© au permis B. Les entreprises sont soumise Ă  l’obligation de dĂ©clarer pour les personnes avec un permis F, ce qui implique des formalitĂ©s administratives plus lourdes qu’avec les permis B ou C. 

Pourquoi trouve-t-on un emploi ou un apprentissage malgrĂ© l’admission provisoire ? 

Il existe Ă  mon sens deux dimensions. Certaines entreprises ont rĂ©ellement Ă  cĹ“ur d’offrir une chance aux jeunes personnes rĂ©fugiĂ©es, surtout lorsqu’elles sont accompagnĂ©es et encadrĂ©es, comme Ă  Erlenhof. Mais d’autres exploitent la situation des personnes admises Ă  titre provisoire, qui ont souvent peur de se dĂ©fendre face Ă  des journĂ©es de travail trop longues, un salaire inĂ©quitable, etc. Certaines entreprises en profitent. 

Quels sont tes projets ? 

Même si j’ai vécu des choses difficiles, elles m’ont aussi fait grandir. J’ai gagné en maturité, je me sens stable et j’ai une bonne vie. J’ai de l’empathie et le contact facile. Je me verrais bien travailler en tant qu’indépendant et diriger une entreprise.