«Nous devrions peut-être fuir si la politique change»

05 avril 2019

L’équipe de formation de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) propose de nombreuses formations continues et des offres pédagogiques basées sur l’expérimentation pour différents groupes cibles. La journée de projet «exil et asile» se prête bien à des groupes de confirmands et à des classes d’élèves. Elle comporte un jeu de simulation.

Texte et photos par Barbara Graf Mousa, rédactrice OSAR

Un samedi matin de janvier dans la maison de paroisse de Windisch en Argovie. Ici un ricanement, là-bas un clignotement de portable, 24 confirmands patientent curieux et un peu tendus…

Tandis que la simulation d’une fuite est au programme le matin, il est prĂ©vu de visionner l’après-midi des extraits de film et d’entendre un tĂ©moignage personnel. VoilĂ  qui promet apparemment beaucoup de divertissement et un bref Ă©change de vues. En rĂ©alitĂ©, pas du tout â€¦

Mais avant cela, il y a une partie théorique: «Dans quel cas devriez-vous fuir et quitter immédiatement la Suisse? » Dans un premier temps, la question du spécialiste de la migration de l’OSAR Gasim Nasirov les désoriente.

Un silence, suivi de quelques chuchotements, puis une première rĂ©ponse hĂ©sitante: «en cas d’attaque terroriste. »«Naturellement, si la sĂ©curitĂ© dans le pays est menacĂ©e», approuve l’animateur de l’atelier. Ainsi encouragĂ©s, les jeunes de 15 ans proposent maintenant plein de rĂ©ponses: «si j’étais discriminé», «en cas de catastrophes naturelles», «si la politique change et que nous perdons notre neutralitĂ©. » Le changement de perspectives amène les jeunes Ă  rĂ©flĂ©chir par eux-mĂŞmes aux motifs de fuite «classiques» des personnes en quĂŞte de protection. Des groupes se forment ensuite, chacun assumant un rĂ´le spĂ©cifique: père de famille, jeune femme seule avec son enfant, jeune homme dĂ©sertĂ© de l’armĂ©e et ainsi de suite – la rĂ©alitĂ© des rĂ©fugiĂ©s….

Pour placer les jeunes dans une simulation de fuite aussi rĂ©elle que possible, l’équipe de formation de l’OSAR s’est Ă©quipĂ©e de costumes correspondant aux habits des milices, des passeurs, des garde-frontières et des collaborateurs du HCR. Les jeunes jouent quant Ă  eux une rĂ©ception de mariage dans la cour de la maison de paroisse. Soudain, surpris par une attaque aĂ©rienne… Ils perdent le contact avec leur groupe, doivent exĂ©cuter des mouvements absurdes, Ă  la merci des militaires, et sont transfĂ©rĂ©s dans une salle plongĂ©e dans le noir, oĂą des milices imprĂ©visibles se cherchent quelques victimes. Ces dernières hurlent quand on les Ă©loigne du groupe. Y a-t-il une issue? Ă€ travers une grille d’aĂ©ration, les rescapĂ©s se glissent vers ce qu’ils prennent pour la liberté…

Mais en y regardant de plus près, ils dĂ©couvrent que ce n’est qu’un champ de mines. Tout le monde doit maintenant le franchir prudemment, pendant que des hĂ©licoptères menaçants tournoient dans le ciel. Il faut en plus aider Ă  porter deux blessĂ©s, ce qui accroĂ®t encore le danger. Quand enfin, les participants au jeu de simulation atteignent une frontière, le personnel douanier rĂ©clame un pot-de-vin. Ceux qui ont encore quelques bijoux ou valeurs doivent maintenant les cĂ©der, faute de quoi les barrières resteront fermĂ©es.

Enfin ils accèdent Ă  la protection chèrement acquise et tout le monde se prĂ©cipite dans un camp de rĂ©fugiĂ©s de l’ONU dĂ©jĂ  bondĂ©. Mais pour ĂŞtre admis, il faut d’abord se faire enregistrer, dĂ©sinfecter et scanner les empreintes digitales. Les participants sont dĂ©sormais en sĂ©curitĂ©, mais il n’y a que peu de nourriture et de mĂ©dicaments et pas de ravitaillement prĂ©vu avant plusieurs semaines… faut-il rester et attendre ou fuir Ă  nouveau vers l’inconnu? Un biscuit aide Ă  la concertation en groupe. Environ la moitiĂ© des groupes dĂ©cident de poursuivre leur fuite. L’autre moitiĂ© restera dans le camp, oĂą les conditions de vie sont difficiles, mais oĂą l’on peut s’attendre Ă  un minimum de protection et de sĂ©curitĂ©. Le jeu touche Ă  sa fin. Les tĂ©lĂ©phones portables peuvent ĂŞtre rĂ©cupĂ©rĂ©s, et le soulagement retrouvĂ©.

Qu'a déclenché le jeu de simulation?

«J’étais impressionnée de voir à quelle vitesse il faut décider de fuir sous la pression de très nombreuses choses et le nombre de personnes que ça touche», affirme une confirmande de 15 ans. «J’en ai eu des frissons», avoue une autre confirmande qui parle pour beaucoup d’autres. «C’est mieux qu’une présensation Powerpoint.»

«Ça fait une sacrée différence quand on peut vivre par soi-même ce qui se passe au cours d’une fuite», déclarent deux confirmands.

Une histoire d'exil personnelle

Dans l’après-midi, un film et l’histoire d’exil de Joséphine Niyikiza originaire du Rwanda sont au programme. Dès qu’elle entame son témoignage, tout devient très calme dans le hall.

Après dix ans d’exil, elle vit maintenant avec son mari et ses trois enfants Ă  Rapperswil. JosĂ©phine, est devenue une spĂ©cialiste de la santĂ© et est active dans de nombreuses associations du village. Comme une vingtaine d’autres rĂ©fugiĂ©s reconnus, elle travaille Ă©galement comme employĂ©e externe pour l’OSAR. Lors de la journĂ©e de projet «exilet asile», elle raconte souvent son histoire personnelle d’exil. «Je ne suis pas la première et certainement pas la dernière Ă  devoir fuir. Personne ne fuit de son plein grĂ©. C’est pourquoi je veux transmettre ce que j’ai vĂ©cu, si ça peut aider d’autres personnes», dit-elle.

Les jeunes sont impressionnés: «L’histoire de Joséphine m’a beaucoup touchée. Et j’ai trouvé super qu’on puisse lui poser toutes les questions qu’on voulait», relève une confirmande.

«J’ai appris beaucoup de chose à travers le témoignage de Joséphine, par exemple qu’une fuite peut durer aussi longtemps: dix ans, c’est incroyable! Ou que les passeurs ne font pas que des mauvaises personnes. » Une confirmande de Windisch, 15 ans.

La journée de projet «exil et asile» est terminée. Qu’a-t-elle apporté? Qu’est-ce qui a été retenu?

Quelques impressions

«Demain, quand je rencontrerai un réfugié, je penserai à l’atelier d’aujourd’hui et je le verrai avec d’autres yeux», déclare un jeune homme profondément impressionné.

«Je trouve terrible de voir comme ça peut être difficile d’obtenir l’asile. On devrait pourtant pouvoir accueillir quelque part toutes les personnes en fuite. Je trouve qu’on devrait dans ce cas regarder plus loin que l’argent», déclare un confirmand.

Les pasteurs Peter Weigl et Edlev Bandixen réservent l’offre de formation de l’OSAR avec le jeu de simulation déjà dix ans pour leurs confirmands.

«Les jeunes ne restent pas des observateurs extérieurs; ils bougent, vivent les étapes simulées d’une fuite et découvrent par eux-mêmes à quel point on ne contrôle rien dans cette situation, à quel point on est livré aux circonstances et à des tierces personnes totalement étrangères», déclare le pasteur Peter Weigl. «Ce changement de perspectives laisse des traces, tout comme la rencontre avec des réfugiés reconnus qui racontent leur histoire. »

Souhaitez-vous changer de perspective avec votre Ă©quipe de travail en vous mettant dans la peau d’une personne en exil? Souhaitez-vous proposer cette incroyable expĂ©rience Ă  votre classe d’école ou Ă  un autre groupe? Le jeu de simulation s’adresse tout autant aux jeunes qu’aux adultes. Contactez-nous, nous nous ferons un plaisir de vous conseiller.

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