Par Barbara Graf Mousa, rédactrice à l’OSAR
Une véritable amitié s’est forgée entre Tohid Jalili, 37 ans, et Yannick Schiliger, 36 ans. Ils affrontent ensemble les hauts et les bas, partagent les bons comme les mauvais moments, et sont surtout toujours là l’un pour l’autre. Leur histoire n’est pas un conte de fées, mais celle d’une véritable amitié, nourrie au fil du temps.
Dès le départ, ces deux hommes ont fait montre de respect et de curiosité l’un pour l’autre, se trouvant d’emblée de nombreux points communs qui leur ont permis de passer beaucoup de temps ensemble et de construire une amitié solide. « Grâce à Yannick, j’ai l’impression d’être vraiment arrivé en Suisse », déclare Tohid. Et Yannick d’ajouter tout sourire : « Au départ, il s’agissait d’apprendre l’allemand. Aujourd’hui, il est question d’échange et d’amitié. »
L’un voulait parler
Tahid Jalili étudiait le génie civil dans le nord de l’Iran, avant de devoir s’exiler pour des raisons politiques. Arrivé en Suisse en 2018, il a été attribué au canton de Lucerne à l’issue de son audition. « J’ai tout de suite compris que pour avancer, il fallait que je puisse me faire comprendre », se rappelle-t-il. « La langue, c’est la clé qui ouvre toutes les portes. » Toutefois, selon les cantons, l’accès au cours de langue est difficile pour les personnes admises à titre provisoire. Ce sont les cantons qui gèrent la prise en charge des frais et nombre d’entre eux ne financent qu’un seul cours pour les personnes réfugiées avec un permis F. Or, sur le marché du travail, souvent cela ne suffit pas pour répondre au niveau B2 de connaissances linguistiques, généralement souhaité par les entreprises. Tohid Jalili s’est donc tourné vers l’organisation d’aide aux personnes réfugiées HelloWelcome, qui lui a proposé un tandem linguistique.
L’autre voulait s’engager
Dans son travail, Yannick Schiliger s’occupait surtout de données et de stratégies d’augmentation du chiffre d’affaires. « Souvent, je me demandais ce qui était vraiment important dans la vie », se souvient l’ancien étudiant en économie et gestion d’entreprise. « Je voulais m’engager pour une cause tournée vers les autres. » Il a alors décidé de contacter HelloWelcome, convaincu par les offres de bénévolat de cette association. « J’aimerais que beaucoup plus de Suissesses et de Suisses rejoignent HelloWelcome », dit-il, prisant l’efficacité de cette organisation locale d’aide aux personnes réfugiées. « Tous les jours, des personnes avec et sans expérience de l’exil se côtoient ici dans la bienveillance, travaillent ensemble, concentrées et assidues, toujours accueillantes et parfois même en riant. » Yannick Schiliger a décidé d’assurer un tandem linguistique et de soutenir une personne réfugiée dans l’apprentissage de l’allemand.
Une intégration complexe
C’est ainsi que Tohid Jalili et Yannick Schiliger se sont rencontrés. Leur tandem linguistique a débuté en 2021, en plein Covid. La curiosité et la sympathie réciproques, au rendez-vous dès le début, leur ont permis de se voir rapidement en dépit des circonstances compliquées à ce moment-là . Au début, il s’agissait d’apprendre l’allemand, mais rapidement, Yannick a été frappé par la complexité du processus d’intégration pour les personnes en admission provisoire, qu’il découvrait au fil des questions administratives et parfois des démarches auprès des autorités. « Si davantage de gens connaissaient et accompagnaient le processus d’intégration, les personnes réfugiées seraient mieux comprises et accueillies. Beaucoup de démarches sont compliquées et les courriers officiels sont difficilement intelligibles même pour des personnes de langue maternelle » explique Yannick. « Grâce à ce tandem et à la confiance de Tohid, j’ai pu appréhender la vie d’une personne qui arrive en Suisse », confie-t-il, en ajoutant « L’échange avec Tohid m’a même donné le courage de changer de voie professionnelle. »
Intégration professionnelle puissance deux
Avec le tandem linguistique, Yannick Schiliger a réalisé qu’il aimait, et parvenait même bien, à vulgariser des démarches complexes et à accompagner des gens sur leur chemin professionnel, entre métier rêvé et réalité du marché. Aujourd’hui, il étudie le travail social, en cours d’emploi, à la Haute école de Lucerne. « Et avec moi, Yannick peut mettre en pratique ce qu’il apprend » commente Tohid. Les deux amis échangent un clin d’œil et rient de bon cœur. Le processus d’intégration d’une personne détentrice d’un diplôme universitaire de son pays d’origine hors espace Schengen est effectivement compliqué. Comment la Suisse évalue-t-elle un diplôme iranien d’études supérieures ? Qui s’occupe de la reconnaissance des diplômes et quels sont les documents nécessaires ? Quelles possibilités les universités suisses proposent-elles aux personnes réfugiées ? Les deux amis ont redoublé d’efforts pour explorer toutes les pistes, aidés par Livia, l’épouse de Yannick, certainement la mieux placée pour répondre à ces questions. En effet, en tant qu’enseignante de culture générale dans une école professionnelle depuis quatre ans, elle dispose d’une bonne expérience et d’un aperçu qualifié des différentes options ainsi que des limites des paysages éducatifs nationaux et cantonaux. Ainsi, il s’est avéré que le master iranien en génie civil de Tohid ne serait malheureusement pas reconnu en Suisse. La recherche de solutions l’a conduit à envisager le domaine général de la polymécanique. L’épouse de Yannick a su lui expliquer les avantages et les inconvénients du système suisse dual de formation professionnelle, qui combine l’acquisition de la pratique au sein d’une entreprise et celle des connaissances théoriques dans une école professionnelle. « J’ai effectué plusieurs stages de polymécanique et je vais entamer un apprentissage de polymécanicien en août chez Schindler. Je me réjouis » explique Tohid. Vraiment ? Quid de ses études dans son pays d’origine ? « En faisant un apprentissage, je vais pouvoir me familiariser avec les matériaux et les processus. C’est très intéressant. Selon moi, c’est même le complément nécessaire à mes connaissances théoriques. » Tohid, convaincu, se tourne vers Yannick : « Grâce à lui et à sa femme, je sais qu’en plus d’être pratique, un apprentissage signifie aussi faire partie d’une équipe de travail et s’imprégner de la mentalité suisse. C’est primordial. Et rien ne m’empêche de suivre plus tard une formation dans une Haute école. »
Et la famille aussi
Tohid Jalili et Yannick Schiliger se voient une à deux fois par mois. L’apprentissage de la langue est largement facilité par leurs intérêts communs. Le vocabulaire et les connaissances de Tohid sur la Suisse d’un côté, celles de Yannick sur l’Iran et les cultures perses de l’autre s’approfondissent en partageant des loisirs tels que le vélo, le jogging ou les matchs de foot, au sujet desquels les deux amis adorent se chamailler autour d’une bière en défendant chacun leur club préféré : le FC Lucerne pour Thodid et les Grasshopper zurichois pour Yannick. Lui et son épouse ont accueilli l’arrivée de leur premier enfant. « C'est une expérience unique et magnifique, qui transforme la vie. Je suis tellement heureux de la partager avec Tohid. Il fait partie de notre famille » s’exclame le jeune papa d’une petite fille. Tohid conclut ému : « Quand Yannick et Livia m’ont invité à leur mariage, j’ai senti au fond de moi que j’étais enfin vraiment arrivé. »