Des routes migratoires sûres plutôt que des procédures d’asile en Afrique

29 mars 2023

Depuis 20 ans, des projets d’externalisation des procédures d’asile dans des États lointains sont régulièrement proposés en Europe, et généralement aussi vite enterrés. Et pour une bonne raison : au-delà des nombreux problèmes sur les plans juridique et politique, ces projets sont bien peu susceptibles de remédier efficacement à la misère des personnes réfugiées ou de lutter contre les passeurs. Des approches nettement plus avisées existent, telles que la création de routes migratoires sûres ou des programmes relevant de l’engagement civil, dont on trouve aussi des exemples positifs en Suisse.

Oliver Lüthi, responsable du département Communication

Face Ă  l’augmentation du nombre de personnes rĂ©fugiĂ©es, diffĂ©rents États europĂ©ens cherchent Ă  les tenir Ă  l’écart de leurs frontières. En mars, le gouvernement britannique a par exemple prĂ©sentĂ© une loi plus stricte en matière d’asile prĂ©voyant le renvoi de pratiquement toutes les personnes rĂ©fugiĂ©es entrĂ©es dans le pays de manière irrĂ©gulière et l’idĂ©e d’externaliser les procĂ©dures d’asile revientrĂ©gulièrement sur le tapis. Le Royaume-Uni a signĂ© un accord en ce sens avec le Rwanda il y a dĂ©jĂ  un an. Selon celui-ci, les personnes rĂ©fugiĂ©es entrĂ©es de manière irrĂ©gulière sur le territoire britannique doivent ĂŞtre renvoyĂ©es vers le pays d’Afrique de l’Est oĂą elles sont soumises Ă  une procĂ©dure d’asile, sans aucune perspective de revenir au Royaume-Uni. Des renvois par avion dĂ©jĂ  prĂ©vus ont Ă©tĂ© suspendus temporairement après une dĂ©cision de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme (CourEDH). Des projets d’accord avec le Rwanda Ă©taient Ă©galement envisagĂ©s au Danemark, mais ont entre-temps Ă©tĂ© abandonnĂ©s. Des voix appelant Ă  l’externalisation des procĂ©dures d’asile se sont aussi fait entendre en Autriche, tandis qu’en Suisse, l’UDC propose de crĂ©er des « centres d’accueil et de protection Â» Ă  l’étranger. Si le motif invoquĂ© est celui de lutter contre les activitĂ©s des passeurs, il est Ă©vident que ces propositions visent davantage Ă  dissuader les personnes rĂ©fugiĂ©es de venir en Europe afin de ne pas saturer ses systèmes d’asile.

De nombreux problèmes juridiques et politiques

L’idĂ©e d’externaliser les procĂ©dures d’asile ne date pas d’hier. Cela fait 20 ans qu’elle est rĂ©gulièrement remise sur la table. Des propositions similaires avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© avancĂ©es sous le Premier ministre britannique Tony Blair, sous le ministre allemand de l’IntĂ©rieur Otto Schily et sous le ministre suisse de la Justice Christoph Blocher. Au regard des nombreux problèmes qu’ils soulèvent sur les plans juridique et politique, il n’est pas Ă©tonnant qu’aucun de ces projets d’externalisation n’ait Ă©tĂ© mis en Ĺ“uvre.

Le droit de dĂ©poser une demande d’asile ainsi que le respect du principe de non-refoulement sont des Ă©lĂ©ments centraux de la politique internationale de l’asile, consacrĂ©s dans la Convention de Genève sur les rĂ©fugiĂ©s. Le principe de non-refoulement interdit d’expulser ou de renvoyer des personnes dans un pays dans lequel leur vie est en danger ou dans lequel elles seraient exposĂ©es Ă  la persĂ©cution, Ă  la torture ou Ă  un traitement inhumain. Au vu du bilan du Rwanda en matière de droits humains, on est en droit de se demander s’il s’agit effectivement d’un pays sĂ»r pour des personnes requĂ©rantes d’asile expulsĂ©es du Royaume-Uni ou du Danemark. Le respect par le Rwanda de ses obligations internationales soulève Ă©galement diffĂ©rentes questions, notamment celle de la garantie d’accès Ă  une procĂ©dure d’asile Ă©quitable et efficace, aux soins de santĂ©, Ă  l’emploi, Ă  l’éducation et Ă  la sĂ©curitĂ© sociale, ainsi que le droit Ă  la libre circulation. Ces mĂŞmes doutes fondĂ©s  ont poussĂ© la CourEDH, en juin dernier, Ă  interdire au Royaume-Uni de procĂ©der au renvoi imminent d’un requĂ©rant d’asile vers le Rwanda au moyen d’une mesure provisoire urgente, suspendant ainsi dans la pratique les plans d’externalisation britanniques. Le HCR avait dĂ©jĂ  soulignĂ© la nature problĂ©matique de l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda avant cette dĂ©cision, tandis qu’Ylva Johansson, commissaire de l’Union europĂ©enne Ă  la migration, a Ă©galement critiquĂ© Ă  plusieurs reprises les projets d’externalisation de diffĂ©rents pays europĂ©ens.

Le Conseil fĂ©dĂ©ral aussi reconnaĂ®t le problème juridique. Dans une rĂ©ponse Ă  une interpellation prĂ©sentĂ©e au mois d’aoĂ»t dernier, il Ă©voque  les « questions juridiques complexes Â» que soulèverait l’externalisation des procĂ©dures d’asile. Il considère mĂŞme les « dĂ©fis politiques et opĂ©rationnels Â» qu’elle poserait comme « trop importants Â» pour qu’elle soit applicable.

Une autre solution : des routes migratoires sûres

Un tel système aurait pour effet de renvoyer les personnes concernĂ©es vers des États tiers contre leur grĂ© et sans perspective , après un exode long et traumatisant. Un procĂ©dĂ© non seulement indigne, mais aussi extrĂŞmement problĂ©matique sur le plan politique, puisqu’il sape de manière Ă©vidente l’idĂ©e du partage international des charges et dĂ©lĂ©guerait la responsabilitĂ© de la procĂ©dure d’asile Ă  d’autres pays contre rĂ©munĂ©ration. Seuls des pays pauvres et des rĂ©gimes autocratiques qui bafouent systĂ©matiquement les droits humains se proposent pour de telles pratiques.

Selon l’OSAR, il est en outre évident que des personnes désespérées en quête de protection continueront de tenter de rejoindre l’Europe malgré le risque de renvoi. La solution la plus efficace et la plus pérenne pour lutter contre la traite d’êtres humains consiste à créer et à promouvoir des routes d’accès sûres. La Suisse pourrait y contribuer davantage, par exemple en offrant des solutions généreuses en matière de réinstallation, de regroupement familial ou d’octroi de visas humanitaires. L’OSAR a déjà exposé cette proposition dans une prise de position antérieure. De nouvelles voies d’accès complémentaires vers une protection présentent aussi un réel potentiel, notamment à travers des programmes d’accueil impliquant les églises, la société civile ou le secteur privé (community sponsorship). L’idée ici est de permettre aux acteurs privés de participer directement à l’accueil et à l’intégration de personnes réfugiées. L’OSAR a explicité les chances offertes par ce type de programmes dans une prise de position publiée à la fin de l’année dernière (en allemand). De nombreuses organisations, villes, communes et personnes privées sont prêtes à s’engager de manière plus intensive dans l’accueil et l’intégration des personnes réfugiées.

Nul besoin de chercher très loin pour en trouver un exemple Ă©loquent : depuis le dĂ©but de la guerre en Ukraine, des dizaines de milliers de personnes rĂ©fugiĂ©es ont pu ĂŞtre hĂ©bergĂ©es Ă  titre privĂ© en Suisse. La solidaritĂ© de la population Ă  l’égard des personnes rĂ©fugiĂ©es est lĂ , il suffit de la cueillir. C’est la raison pour laquelle l’OSAR s’engage pour une intĂ©gration Ă  part entière de l’hĂ©bergement privĂ© de personnes rĂ©fugiĂ©es dans le système d’asile.

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