Oliver Lüthi, responsable du département Communication
Face à l’augmentation du nombre de personnes réfugiées, différents États européens cherchent à les tenir à l’écart de leurs frontières. En mars, le gouvernement britannique a par exemple présenté une loi plus stricte en matière d’asile prévoyant le renvoi de pratiquement toutes les personnes réfugiées entrées dans le pays de manière irrégulière et l’idée d’externaliser les procédures d’asile revientrégulièrement sur le tapis. Le Royaume-Uni a signé un accord en ce sens avec le Rwanda il y a déjà un an. Selon celui-ci, les personnes réfugiées entrées de manière irrégulière sur le territoire britannique doivent être renvoyées vers le pays d’Afrique de l’Est où elles sont soumises à une procédure d’asile, sans aucune perspective de revenir au Royaume-Uni. Des renvois par avion déjà prévus ont été suspendus temporairement après une décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH). Des projets d’accord avec le Rwanda étaient également envisagés au Danemark, mais ont entre-temps été abandonnés. Des voix appelant à l’externalisation des procédures d’asile se sont aussi fait entendre en Autriche, tandis qu’en Suisse, l’UDC propose de créer des « centres d’accueil et de protection » à l’étranger. Si le motif invoqué est celui de lutter contre les activités des passeurs, il est évident que ces propositions visent davantage à dissuader les personnes réfugiées de venir en Europe afin de ne pas saturer ses systèmes d’asile.
De nombreux problèmes juridiques et politiques
L’idée d’externaliser les procédures d’asile ne date pas d’hier. Cela fait 20 ans qu’elle est régulièrement remise sur la table. Des propositions similaires avaient déjà été avancées sous le Premier ministre britannique Tony Blair, sous le ministre allemand de l’Intérieur Otto Schily et sous le ministre suisse de la Justice Christoph Blocher. Au regard des nombreux problèmes qu’ils soulèvent sur les plans juridique et politique, il n’est pas étonnant qu’aucun de ces projets d’externalisation n’ait été mis en œuvre.
Le droit de déposer une demande d’asile ainsi que le respect du principe de non-refoulement sont des éléments centraux de la politique internationale de l’asile, consacrés dans la Convention de Genève sur les réfugiés. Le principe de non-refoulement interdit d’expulser ou de renvoyer des personnes dans un pays dans lequel leur vie est en danger ou dans lequel elles seraient exposées à la persécution, à la torture ou à un traitement inhumain. Au vu du bilan du Rwanda en matière de droits humains, on est en droit de se demander s’il s’agit effectivement d’un pays sûr pour des personnes requérantes d’asile expulsées du Royaume-Uni ou du Danemark. Le respect par le Rwanda de ses obligations internationales soulève également différentes questions, notamment celle de la garantie d’accès à une procédure d’asile équitable et efficace, aux soins de santé, à l’emploi, à l’éducation et à la sécurité sociale, ainsi que le droit à la libre circulation. Ces mêmes doutes fondés ont poussé la CourEDH, en juin dernier, à interdire au Royaume-Uni de procéder au renvoi imminent d’un requérant d’asile vers le Rwanda au moyen d’une mesure provisoire urgente, suspendant ainsi dans la pratique les plans d’externalisation britanniques. Le HCR avait déjà souligné la nature problématique de l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda avant cette décision, tandis qu’Ylva Johansson, commissaire de l’Union européenne à la migration, a également critiqué à plusieurs reprises les projets d’externalisation de différents pays européens.
Le Conseil fédéral aussi reconnaît le problème juridique. Dans une réponse à une interpellation présentée au mois d’août dernier, il évoque les « questions juridiques complexes » que soulèverait l’externalisation des procédures d’asile. Il considère même les « défis politiques et opérationnels » qu’elle poserait comme « trop importants » pour qu’elle soit applicable.
Une autre solution : des routes migratoires sûres
Un tel système aurait pour effet de renvoyer les personnes concernées vers des États tiers contre leur gré et sans perspective , après un exode long et traumatisant. Un procédé non seulement indigne, mais aussi extrêmement problématique sur le plan politique, puisqu’il sape de manière évidente l’idée du partage international des charges et déléguerait la responsabilité de la procédure d’asile à d’autres pays contre rémunération. Seuls des pays pauvres et des régimes autocratiques qui bafouent systématiquement les droits humains se proposent pour de telles pratiques.
Selon l’OSAR, il est en outre évident que des personnes désespérées en quête de protection continueront de tenter de rejoindre l’Europe malgré le risque de renvoi. La solution la plus efficace et la plus pérenne pour lutter contre la traite d’êtres humains consiste à créer et à promouvoir des routes d’accès sûres. La Suisse pourrait y contribuer davantage, par exemple en offrant des solutions généreuses en matière de réinstallation, de regroupement familial ou d’octroi de visas humanitaires. L’OSAR a déjà exposé cette proposition dans une prise de position antérieure. De nouvelles voies d’accès complémentaires vers une protection présentent aussi un réel potentiel, notamment à travers des programmes d’accueil impliquant les églises, la société civile ou le secteur privé (community sponsorship). L’idée ici est de permettre aux acteurs privés de participer directement à l’accueil et à l’intégration de personnes réfugiées. L’OSAR a explicité les chances offertes par ce type de programmes dans une prise de position publiée à la fin de l’année dernière (en allemand). De nombreuses organisations, villes, communes et personnes privées sont prêtes à s’engager de manière plus intensive dans l’accueil et l’intégration des personnes réfugiées.
Nul besoin de chercher très loin pour en trouver un exemple éloquent : depuis le début de la guerre en Ukraine, des dizaines de milliers de personnes réfugiées ont pu être hébergées à titre privé en Suisse. La solidarité de la population à l’égard des personnes réfugiées est là , il suffit de la cueillir. C’est la raison pour laquelle l’OSAR s’engage pour une intégration à part entière de l’hébergement privé de personnes réfugiées dans le système d’asile.