Seraina Nufer, coresponsable du département Protection de l’OSAR
Septante ans après l'adoption de la Convention de Genève, la protection internationale des réfugiés a rarement été autant sous pression : tandis que les pays les plus pauvres assument la plus grosse part de responsabilité, l’Europa s’isole de plus en plus, malgré un nombre de demandes d’asile relativement bas. Au lieu de s’entendre sur une protection suffisante et solidaire des personnes réfugiées, on tente de contourner la Convention par une politique d’externalisation et de refoulements.
En Suisse aussi, la protection des réfugiés fait sans cesse l'objet de controverses politiques. La discussion ne se focalise pas sur les personnes qui ont besoin de protection, mais sur celles qui sont jugées indignes d’en bénéficier. Avec des arguments diffus qui relèvent du registre émotionnel et ne s’appuient pas sur des faits clairs, on attise dans les médias et sur la scène politique des controverses sur les « faux » réfugiés et les « abus » du droit d'asile, dans le but de restreindre la définition de la notion de réfugié dans le droit suisse. Il y a sans arrêt de nouvelles tentatives. En 2012 par exemple, on a ajouté à l’article 3 de la loi sur l’asile un 3e alinéa excluant de la définition de réfugié les personnes qui craignent de graves représailles suite à leur refus de servir dans les rangs de l’armée ou de leur désertion. En 2014, on a encore ajouté l’alinéa 4 stipulant que les personnes qui font valoir un comportement postérieur à la fuite (par exemple des activités politiques en exil) ne sont pas des réfugiés. Les deux alinéas comportent toutefois la réserve de la Convention. Cela signifie que même dans les constellations susmentionnées, une personne correspondant à la définition de réfugié formulée par la Convention relative au statut des réfugiés doit être reconnue comme telle. Toute personne exposée à de sérieux préjudices ou ayant de bonnes raisons d’en redouter dans son pays d'origine en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques doit par conséquent être considérée comme un-e réfugié-e. À l’inverse, il est tout aussi clair et incontestable qu'une personne qui ne remplit pas tous les éléments de la définition n'est pas reconnue comme réfugiée. C’est par exemple le cas si elle encourt une sanction pénale légitime pour avoir refusé le service militaire, mais qu’elle ne risque pas d’être persécutée. Bien évidemment, c’était déjà le cas auparavant, de sorte que les deux alinéas sont restés lettres mortes.
Vaine tentative d’ébranler la Convention
Dans les tentatives de restriction, le conseiller aux États PLR Damian Müller a franchi un pas de plus en suggérant en 2018 que la Convention relative au statut des réfugiés n'était plus d'actualité. Il a même déposé un postulat pour demander à la Suisse « d’encourager la communauté internationale à réviser la Convention relative au statut des réfugiés ». Une majorité du Parlement lui ayant apporté son soutien, le Conseil fédéral a constitué un groupe d’accompagnement au sein duquel l’OSAR était notamment représentée. Le Conseil fédéral a aussi mandaté une expertise externe. Sur cette base, il en est clairement arrivé à la conclusion que la Convention reste un instrument central de la protection internationale des réfugiés et qu’elle n’a nullement besoin d’être adaptée, car elle est suffisamment flexible pour tenir compte des défis actuels. Ce signal clair du Conseil fédéral mérite d’être salué : la Convention relative au statut des réfugiés ne doit pas être remise en question.
Malgré diverses tentatives de restriction suite à des polémiques, la Convention reste, également pour la Suisse, la base de référence soutenue depuis 70 ans par un consensus général de droit international pour ce qui est de déterminer qui est un réfugié.
Améliorer la mise en œuvre en Suisse : il y a aussi des réfugiés de guerre civile
Mais la Suisse est trop restrictive dans sa mise en application de la définition de réfugié selon les termes de la Convention : en particulier dans le contexte des guerres civiles comme celles qui déchirent la Syrie ou l’Afghanistan, les autorités sont trop promptes à n’attribuer qu’une admission provisoire à cause de la situation générale au lieu de l’asile. Or, même les guerres civiles peuvent donner lieu à des persécutions personnelles, par exemple quand les habitant-e-s d’un village donné sont considérés comme des membres de l’opposition et subissent de ce fait des attaques ciblées. Dans ses considérations de mars 2021, le HCR part donc aussi du principe que la grande majorité des requérant-e-s d'asile syriens correspondent à la définition de réfugié et méritent une protection internationale.
Une aide pour démarrer une nouvelle existence
La Convention relative au statut des réfugiés ne détermine pas seulement qui est un-e réfugié-e. Elle a également pour objectif de permettre aux réfugiés de mettre en place de nouveaux moyens de subsistance dans leur pays d’accueil. C’est pour eux une absolue nécessité, vu qu'ils ne peuvent plus retourner dans leur pays d'origine. Les pays d'accueil doivent créer des conditions qui permettent aux réfugiés de prendre ce nouveau départ. Ces conditions s'expriment à travers des droits aussi fondamentaux que le droit à la formation, à l'emploi, à la liberté de circuler dans le pays d'accueil, à l’aide sociale et à un document de voyage.
Ce deuxième aspect de la Convention revêt tout autant d’importance, même s’il est généralement moins mis en avant dans les discussions publiques en Suisse. Le statut de l'admission provisoire en lieu et place de l'asile (par exemple en cas de motifs de fuite aussi subjectifs que des activités politiques en exil) est une spécificité de la Suisse. Il est particulièrement contestable en vue de l'intégration : étant donné que les personnes en question remplissent les critères donnant droit au statut de réfugié, elles jouissent de tous les droits prévus par la Convention et se trouvent, exactement comme les réfugiés reconnus, dans l’impossibilité prolongée de retourner dans leur pays d’origine.
Le droit suisse a beau leur accorder en grande partie les droits prévus par la Convention relative au statut des réfugiés, dans la pratique, le « statut intermédiaire » comporte sans cesse des ambiguïtés et ne tient pas suffisamment compte de l’idée de protection inhérente à la Convention. Les durcissements progressifs du droit des étrangers, comme la possibilité de plus en plus facile de déclasser le statut juridique octroyé par la loi sur les étrangers en cas de dépendance à l'aide sociale et les obstacles entravant l'accès à la naturalisation, posent également problème par rapport à l'idée d'intégration des réfugiés reconnus.
Il faut que la Suisse s’engage pour la protection et la solidarité
En tant qu'État dépositaire de la Convention relative au statut des réfugiés, prompt à invoquer sa tradition humanitaire, la Suisse a tout particulièrement le devoir de mettre en œuvre l'idée de protection inhérente à la Convention. Elle devrait servir d'exemple à l’Europe et s'engager pour un renforcement de la protection des réfugiés et de la responsabilité solidaire.
Pour que les personnes persécutées obtiennent la protection dont elles ont besoin, la Convention de 1951 est encore aujourd’hui et restera à l’avenir de façon ininterrompue le principal pilier de la protection internationale des réfugiés.