Par Barbara Graf Mousa, rédactrice à l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR)
«Ayanle, en somalien, désigne une personne qui a de la chance», explique le jeune homme, rayonnant. Un veinard, comme on dit par ici. Sa chance, Muuse Ayanle ne cherche pas à l’expliquer. D’autant plus que la chance, on l’a ou on l’a pas et qu’il est souvent impossible d’y changer quoi que ce soit. Ce qui est certain, en revanche, c’est que le jeune homme sait la saisir quand elle lui sourit. Dès son arrivée, il a en effet exploité toutes les occasions qui s’offraient à lui pour gagner son indépendance et trouver ses marques rapidement dans son nouveau pays.
Un jeune homme plein de projets d’avenir
Aujourd’hui, Muuse Ayanle a de vraies mains de maçon; des mains à la fois fines et délicates et pleines de vigueur et de force. Des poignes de fer capables de guider une truelle avec précision et toujours prêtes à noter avec diligence les derniers conseils et enseignements à retenir. Ses maîtres d’apprentissage sont là pour en attester, tout comme ses certificats. «Mon objectif pour l’instant est de me former à l’école de Sursee pour devenir contremaître », explique Muuse Ayanle. Il est bien parti pour y parvenir: après deux semaines d’essai, il a été accepté comme apprenti par deux entreprises de construction. Il a d’abord obtenu, en deux ans, son attestation de formation professionnelle dans une grande entreprise de construction. Cela a si bien fonctionné qu’il accomplit actuellement une troisième année d’apprentissage, qu’il terminera à l’été 2019. Son certificat fédéral de capacité (CFC) de maçon en poche, plus rien ne s’opposera à ses projets professionnels futurs.
«Grâce au football, je me suis fait beaucoup d’amis», explique le jeune maçon en formation. Il joue actuellement dans un club de 3e division à Liestal.
Sur le terrain de foot
«La Suisse est un exemple et un pays merveilleux si l’on veut se former, et j’en suis très reconnaissant», souligne Muuse Ayanle. Né dans un village du nord de la Somalie, il a dû, à l’âge de 12 ans, fuir les fondamentalistes d’Al-Shabaab avec sa famille. Dès 2008, il a alors vécu dans un camp de réfugiés dans la région frontalière éthiopienne. Comme des milliers d’autres réfugiés, principalement somaliens, il a dû lutter au jour le jour pour subsister. Un quotidien marqué par la misère humaine, la violence et la détresse des plus faibles. «Ici, il est difficile d’imaginer ce qui se passe là -bas», souffle-il laconiquement. Dans une telle situation, l’enfance prend fin brutalement, surtout pour les fils aînés: il s’agit de prendre les rênes et d’assurer en quelque sorte la survie de la famille.
«Ici, il est difficile d’imaginer ce qui se passe là -bas»
La faim, la pauvreté et l’absence de toute perspective d’avenir qui frappent les camps surpeuplés dans les États limitrophes des régions en guerre contraignent de nombreux jeunes Africains, comme Muuse Ayanle Omer, à tenter un exil risqué vers l’Europe. Sur sa route, il a heureusement survécu au pire: le trajet périlleux jusqu’à Karthoum, la capitale soudanaise, les infiltrations de passeurs dans le désert libyen, la prison dans la ville portuaire libyenne de Bengasi, la traversée en canot pneumatique jusqu’à Malte, le statut provisoire en Italie et enfin le voyage jusqu’en Suisse, via Sion et le centre d’enregistrement et de procédure (CEP) de Bâle. Fan de football, il connaissait déjà la ville rhénane grâce à la Ligue des champions. «J’en avais entendu parler à la télévision», rigole-t-il.
Aujourd’hui encore, il joue au football dans son temps libre, dans un club de 3e division à Liestal (BL). Pendant longtemps, il a évolué au FC Therwil (BL) de la 5e à la 3e division et a fait ainsi la connaissance de nombreuses nouvelles personnes. «Je me suis vraiment fait beaucoup d’amis grâce au football», explique-t-il. «Pendant longtemps, je suis resté sur le bord du terrain, jusqu’au jour où j’ai osé demander si je pouvais jouer. Et ç’a marché. A partir de là , j’ai fait partie de l’équipe et j’étais fier de pouvoir enfin montrer de quoi j’étais capable avec un ballon. » Sa commune de résidence lui a généreusement fourni l’équipement sportif nécessaire, qu’il ne pouvait s’offrir en tant que requérant d’asile mineur.
Un objectif clair en tĂŞte
Muuse Ayanle avait 16 ans lorsqu’il est arrivé au CEP de Bâle en juillet 2013. Seul, sans être accompagné d’un adulte. Il y a déposé une demande d’asile. Au bout de neuf jours, il a été placé dans un hébergement spécial pour requérants d’asile mineurs à Liestal, juste à temps pour la rentrée scolaire en août. Pendant près de deux ans, il a visité le Zentrum für Brückenangebote, un centre d’insertion professionnelle pour jeunes. «C’était super pour moi. J’ai vraiment bien appris l’allemand, j’ai fait des maths, de l’informatique et, surtout, j’ai appris comment la formation fonctionne ici en Suisse», raconte-t-il avec enthousiasme. «L’enseignante était compétente et nous a tous beaucoup soutenus. Si cela a été si facile pour moi, c’est peut-être parce que j’ai l’habitude de toujours tout faire par moi-même: tenter des choses, me remettre en question si je ne parviens pas à atteindre mes objectifs tout seul, finir par me débrouiller. » Une qualité commune à de nombreux réfugiés et qui se révèle très utile dans le processus d’intégration.
Le permis F
Muuse Ayanle bénéficie d’une admission provisoire depuis trois ans et demi (permis F) : «J’espère avoir bientôt le droit de rester: je suis en formation, indépendant, mes maîtres d’apprentissage sont gentils et me forment malgré mon admission provisoire. Je me sens bien ici et mon salaire me permet d’être autonome. Je crois que mes chances sont bonnes», espère-t-il. Quelle est sa recette pour réussir tant de choses? «Il faut avoir un objectif clair en tête et savoir exactement ce que l’on veut», ajoute-t-il. «Ensuite, il faut se donner les moyens et garder à l’esprit que plusieurs années de formation, avec un maigre revenu, seront nécessaires: je me suis toujours dit que je devrais investir sept ans dans ma formation et qu’ensuite je pourrais faire quelque chose de grand plus tard. »
La maçonnerie dans le sang
La chance a voulu qu’il existe en Suisse une pénurie croissante de main d’œuvre qualifiée, notamment dans la profession qu’il convoitait: maçon est aujourd’hui l’un des métiers qui souffrent le plus du manque de relève. «J’adore construire! Enfant, j’aidais souvent mon père, qui travaillait aussi comme maçon et ouvrier dans la construction. Mais il gagnait environ 300 francs par mois, alors que mon salaire était déjà cinq fois plus élevé en première année d’apprentissage», explique Muuse Ayanle. «Bien sûr, le coût de la vie est également bien plus élevé ici, c’est évident.»
Indépendant financièrement
Je suis très heureux de pouvoir subvenir à mes propres besoins et d’avoir touché l’aide sociale pendant une courte période seulement. » Lorsqu’il montre un plan de construction soigneusement dessiné et un mur de briques qu’il a réalisé pour les examens finaux, la fierté se lit sur son visage. «Je vais souvent sur le chantier de construction pour apprentis, je m’exerce et j’essaie, c’est ma passion. On a besoin de maçons partout, on voit tous les jours ce qu’on a accompli, c’est ça qui est beau dans ce travail exigeant. »
Dessiner et lire des plans de construction font partie de la formation de maçon et sont apparemment une des forces de Muuse Ayanle: «J’aime beaucoup faire cela; parfois je rêve d’une formation de dessinateur en génie civil… Les maîtres d’apprentissage sont contents de mon travail».