La Suisse peut et doit en faire plus

Publications

    Pacte européen sur la migration et l’asile: nouveau départ raté

    04 décembre 2020

    Le 23 septembre 2020, la Commission européenne a présenté ses propositions de nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile. Or que reste-t-il du nouveau départ annoncé dans la politique européenne en la matière? Qu’en est-il de la protection des droits fondamentaux et du renforcement de la solidarité entre les États européens? Et que va devenir le «régime d’asile européen commun»?

    L’OCA a demandĂ© son opinion Ă  notre juriste Adriana Romer -  AsylNews 04/2020

    L’UE cherche à réformer le Régime d’asile commun européen (RAEC), qui vise à préserver les droits de l’homme et à protéger la dignité humaine. C’est du moins ce qu’indiquent les propositions de nouveau Pacte sur la migration et l’asile publiées le 23 septembre par la Commission européenne. Or l’examen de leur contenu révèle qu’il s’agit de promesses creuses. Le Régime d’asile commun européen ne fonctionne pas, tout le monde s’accorde à le dire. Le consensus européen s’effrite dès qu’on cherche à localiser les difficultés. On constate alors que chaque État défend ses intérêts particuliers, que le monde politique est en décalage complet avec la réalité et que la solidarité n’est qu’un vain mot.

    Partenariats solidaires axés sur le renvoi

    La solidaritĂ© implique de rester inconditionnellement unis, sur la base d’idĂ©es et d’objectifs communs. Les États ont toutefois des avis divergents sur la politique migratoire – personne n’est du mĂŞme avis. Aussi les objectifs partagĂ©s reposent-ils sur le plus petit dĂ©nominateur commun, soit la dĂ©fense, la dissuasion et les externalisations. Ces prioritĂ©s marquent aussi le nouveau Pacte sur la migration et l’asile. Il renferme certes un «mĂ©canisme de solidarité», prĂ©vu pour les pĂ©riodes de «forte pression migratoire». Mais la solidaritĂ© peut aussi bien signifier ici l’accueil de migrants que le soutien Ă  leur expulsion par un parrainage en matière de retour. Les prioritĂ©s dĂ©finies dans ce contexte sont les procĂ©dures aux frontières, le renforcement de Frontex, ainsi qu’une collaboration accrue avec les pays de provenance ou de transit, comme la Turquie et la Libye. Nul ne sait comment la Commission a pu se convaincre qu’en adoptant de nouvelles dispositions rĂ©glementaires, un système ayant Ă©chouĂ© en raison du non-respect de ses règles, d’une part, et de l’absence de soutien politique des États membres, d’autre part, allait subitement fonctionner.

    Mise en œuvre de ce qui existe déjà

    Les dispositions actuelles du RAEC ne sont certes pas parfaites. Il renferme toutefois toutes les bases juridiques nĂ©cessaires Ă  un système efficace, offrant des possibilitĂ©s de solidaritĂ© interĂ©tatique. Sous le règlement Dublin III, un de ses piliers, un partage volontaire des responsabilitĂ©s est tout Ă  fait possible et, en exploitant leur marge de manĹ“uvre, les États pourraient se montrer humains, gĂ©nĂ©reux et solidaires. Ce n’est qu’une question de volontĂ© politique. Or la Suisse se montre hĂ©sitante dans ce domaine.

    Système des systèmes

    Ni les retouches ponctuelles, ni de nouveaux règlements ne viendront Ă  bout du problème fondamental des propositions de nouveau Pacte europĂ©en sur la migration: il manque au RAEC une base commune. Ce n’est qu’un système des systèmes – une tentative vouĂ©e Ă  l’échec d’harmoniser les approches respectives des États membres de l’UE, dont l’attitude Ă  l’égard des rĂ©fugiĂ©s diffère autant que les systèmes nationaux de protection sociale. Autrement dit, mĂŞme lors de violations des droits de l’homme clairement documentĂ©es, l’UE se montre impuissante et dĂ©munie – soit que les autoritĂ©s croates repoussent brutalement les requĂ©rants d’asile (push-back), ou que la Hongrie refuse de couvrir leurs besoins fondamentaux, ou encore que l’Italie ou Malte refusent de laisser accoster les bateaux transportant les personnes sauvĂ©es d’un naufrage, ou enfin que l’Agence europĂ©enne de garde-frontières et de garde-cĂ´tes (Frontex) se livre elle-mĂŞme Ă  des opĂ©rations de push-back en mer ÉgĂ©e.

    Accueil helvétique à dose homéopathique

    L’Europe se soustrait Ă  ses responsabilitĂ©s – et la Suisse se vante d’accueillir un contingent de quelques dizaines de mineurs non accompagnĂ©s provenant de Grèce, qui lui aurait de toute façon Ă©tĂ© imposĂ© par le règlement Dublin-III. La Suisse officielle souligne son hospitalitĂ©, tout en la soumettant Ă  une solution globale au niveau europĂ©en. C’est loin d’être suffisant. Le nombre de demandes d’asile est en constant recul depuis des annĂ©es, et en 2020 elles Ă©taient tombĂ©es Ă  7753 Ă  fin septembre. D’oĂą une marge de manĹ“uvre pour davantage de solidaritĂ© – avec les États membres de l’UE submergĂ©s, et en particulier avec les personnes en fuite victimes de la saturation des structures
    étatiques ou des réticences politiques.

    Perspectives

    On ignore encore dans quelle mesure et sous quelle forme le nouveau Pacte européen va entrer en vigueur, et les négociations risquent de traîner en longueur. L’attitude de l’Espagne et surtout celle de l’Italie seront déterminantes pour les futures discussions à Bruxelles. La Suisse participe aux négociations, sans droit de vote certes, mais à titre consultatif. Elle devrait en profiter pour insister sur le respect des droits humains et de la dignité humaine – tout en montrant l’exemple par une solidarité agissante et non purement symbolique.

    La protection des personnes et de leurs droits est prioritaire

    Au lieu de se focaliser sur les retours et de se barricader, l’Europe ferait mieux de se consacrer à la préservation de ses acquis et au développement de ses normes dans le domaine de l’asile et des droits de l’homme. Il faut stopper l’hécatombe et les violations systématiques des droits humains aux portes de l’Europe. À cet effet, il faudrait établir des corridors légaux et sécurisés, afin que plus personne ne doive entreprendre un voyage aussi dangereux. Loin de résoudre les choses, les arrangements avec des pays comme la Libye ou la Turquie sont problématiques et il faut y renoncer, et en aucun cas poursuivre dans ce sens. L’heure est à des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée dignes de ce nom, sous la conduite de l’UE et avec son appui financier. La priorité absolue est la protection des individus et de leurs droits. En tant que prix Nobel de la paix, l’UE devrait s’en souvenir et agir en conséquence. Le jour où les valeurs fondamentales communes seront à nouveau à l’honneur, alors seulement l’Europe pourra envisager des pactes communs et appliqués par tous les pays.